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QUAND LA FONDATION GATES SÈME LA FAIM EN AFRIQUE – page 9
« GILETS JAUNES», LES VRAIES DOLÉANCES Page 20.
Mensuel - 28 pages
DOSSIER
Qui gagne la guerre de l’énergie ? Impatients de renoncer aux combus- tibles russes pour asphyxier le Kremlin, les pays européens ont improvisé des solutions de rechange. Ils paient désor mais leur impréparation : envolée des prix, ralentissement économique, nouvelles allégeances diplomatiques. Les ÉtatsUnis, eux, se frottent les mains…
PAR MATHIAS REYMOND *
ET PIERRE RIMBERT
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LES yeux clos, le dos courbé, le ministre de l’économie et du climat allemand Robert Habeck s’incline respectueusement devant le cheikh qatari Tamim Ben Hamad Al-Thani. Ce 20 mars 2022, l’heure n’est pas à la transition écologique ni à la « diplomatie des valeurs » chère à cette figure des Verts allemands : si M. Habeck marque ainsi sa déférence vis-à-vis d’un défenseur des droits humains aussi irréprochable que l’émir du Qatar, avant de faire courbette, le lendemain, devant celui des Émirats arabes unis, c’est pour acheter de l’énergie climatiquement peu correcte : du gaz naturel liquéfié (GNL) susceptible de remplacer le gaz russe qui propulsait jusque-là l’économie allemande. OutreRhin, l’image a marqué. Elle reflète le séisme provoqué en Europe par la guerre en Ukraine et les sanctions occidentales imposées à Moscou. En quelques semaines, la question de la sécurité énergétique a rejoint sur le devant de la scène celle du climat. Et, sans surprise, l’a effacée.
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DIMITAR GENCHEV. – « Neverending Story » (Une histoire sans fin), 2018
Depuis la fin du XIXe siècle, sécuriser leur approvisionnement en ressources fossiles obsède nations et empires, dussentils pour cela exploiter leurs populations, remodeler les paysages, coloniser des continents, vassaliser des alliés,
peupler ou dépeupler des régions entières. Entre 2007 et 2011, ExxonMobil dominait Wall Street et, en novembre 2007, Petrochina pulvérisait brièvement le record mondial de valorisation boursière. Quinze ans plus tard, seule Saudi Aramco, partiellement privatisée, surnageait dans le palmarès des dix plus importantes capitalisations boursières, entourée par huit géants de la haute technologie. L’ère numérique, qui dissimule soigneusement son infrastructure énergivore derrière les petits écrans du grand public, et le flou qui accompagne la transition vers les ressources renouvelables ont fait perdre de vue l’évidence qui avait hanté des générations de dirigeants occidentaux : l’accès à l’énergie conditionne la souveraineté des nations, leur puissance.
* Économiste.
(Lire la suite page 16 et le dossier pages 13 à 17.)
« Saigner la Russie »
EN février dernier, quelques jours avant l’invasion russe, le président Joseph Biden a intimé aux Américains de quitter l’Ukraine dans les quarante-huit heures. Depuis, les États-Unis sont revenus dans ce pays, mais autrement. Sans risquer la vie d’un seul soldat, ils profitent de la succession de catastrophes provoquées par le président Vladimir Poutine pour engranger les percées stratégiques : une Russie durablement affaiblie ; une Chine embarrassée par les déboires de son voisin ; une Alliance atlantique renforcée par l’adhésion prochaine de la Suède et de la Finlande ; une moisson de contrats pour les exportateurs américains de céréales, d’armes, de gaz ; des médias occidentaux qui reprennent en cadence la propagande du Pentagone. Pourquoi les stratèges américains souhaiteraient-ils qu’une guerre aussi providentielle s’achève ?
PAR SERGE HALIMI
bluff, et que la Russie, dont il avait surestimé la puissance militaire, pouvait être acculée sans danger. Il rejoint ainsi les républicains néoconservateurs, pour qui toute concession à l’expansionnisme de M. Poutine « reviendrait à payer un cannibale pour qu’il nous mange en dernier (1) ». La surenchère américaine est telle que, s’adressant aux ouvriers de Lockheed Martin qui fabriquent en Alabama les missiles antichars Javelin, dont de très nombreux tankistes russes ont pu éprouver la redoutable efficacité, M. Biden s’est réjoui que « les Ukrainiens donnent le nom de Javelin ou de Javelina à leurs nouveau-nés »…
Ils ne le souhaitent pas. Depuis quelques semaines, on dirait même que la seule conclusion du conflit à laquelle les ÉtatsUnis consentiraient vraiment serait un triomphe romain des armées occidentales à Moscou, avec M. Biden à la tribune et M. Poutine dans une cage de fer. Et pour réaliser leur objectif désormais proclamé, « affaiblir la Russie », la saigner en vérité, les États-Unis ne lésinent plus sur les moyens : livraison d’armes plus offensives et plus sophistiquées à l’Ukraine, assistance probable à ce pays afin qu’il puisse localiser et liquider des généraux russes, voire couler le navire amiral de leur flotte. Sans compter que, depuis trois mois, le Congrès américain a déjà voté 54 milliards de dollars d’aide à Kiev, soit plus de 80 % du budget militaire russe. M. Biden redoutait au départ qu’une cobelligérance avec l’Ukraine précipite « une troisième guerre mondiale ». Il semble avoir conclu que le chantage nucléaire de Moscou n’était qu’un
Le président Volodymyr Zelensky a rappelé le 21 mai dernier que la guerre ne prendrait fin « qu’à la table des négociations ». Mais l’armée russe poursuit sa conquête destructrice des villes du Donbass, et les dirigeants américains tirent profit de l’amplification du conflit. L’Europe, elle, paraît tiraillée entre un président français, plutôt isolé, qui observe avec raison que « la paix ne se fera pas dans l’humiliation de la Russie » et une première ministre estonienne qui lui a vertement répliqué : « On ne doit pas proposer de porte de sortie à Vladimir Poutine. (…) La solution ne peut être que militaire. L’Ukraine doit gagner cette guerre (2).» La diplomatie est en berne. Et, pour le moment, les ventriloques de Washington mènent la danse sur le Vieux Continent.
(1) Mitt Romney, The New York Times, 23 mai 2022. (2) Le Figaro, Paris, 18 mai 2022.
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H SOMMAIRE COMPLET EN PAGE 28
N° 819 - 69e année. Juin 2022
ÉCOLOGIE OU LIBRE-ÉCHANGE
La face cachée des sommets de la Terre
Alors que les températures atteignent des records en Inde et au Pakistan, où le mercure a flirté avec les 50o C pendant plusieurs jours, les Nations unies organisent, les 2 et 3 juin en Suède, une vaste conférence internationale sur l’environnement. Son titre, « Stockholm + 50 », souligne le temps perdu depuis le premier sommet de la Terre, en 1972, pour engager la lutte contre le changement climatique.
PAR AURÉLIEN BERNIER *
À LA fin de l’année 1967, les Nations unies se saisissent d’une demande de la Suède : organiser une conférence mondiale sur les « problèmes d’environnement ». À défaut d’être une préoccupation aussi prégnante que la guerre froide, l’écologie fait de plus en plus parler d’elle dans les pays industrialisés, en lien avec des enjeux de santé publique. Dans les années 1960, plusieurs livres ont connu un écho médiatique inattendu aux ÉtatsUnis. Avec Silent Spring (« Printemps silencieux »), publié en 1962, la biologiste Rachel Carson s’attaque à l’agriculture intensive et à l’industrie des pesticides, dont elle montre les ravages sur la nature et particulièrement les oiseaux. En 1966, Barry Commoner, biologiste lui aussi, dénonce les impacts environnementaux du nucléaire militaire et de certaines technologies industrielles modernes dans son premier ouvrage, Science and Survival (« Science et survie »). Au Japon, une maladie grave touche les populations de pêcheurs de la baie de Minamata ; les scientifiques mettent en cause le mercure répandu par une usine chimique qui ne sera fermée que deux ans plus tard. Le 18 mars 1967, le pétrolier Torrey Canyon s’échoue près des îles Sorlingues, au large des Cornouailles, et provoque une
* Auteur de Comment la mondialisation a tué l’écologie, Mille et une nuits, Paris, 2012.
gigantesque marée noire sur les côtes françaises et britanniques.
Quatre ans et demi sont nécessaires pour passer de l’idée à la réalisation d’une première conférence mondiale, dans le cadre des Nations unies, sur « l’environnement et le développement ». Le pilotage de l’organisation est confié au Canadien Maurice Strong, ancien dirigeant d’une compagnie pétrolière, reconnu dans les milieux d’affaires (il deviendra en 1971 administrateur de la fondation Rockefeller) mais indéniablement soucieux des questions écologiques : avec quelques autres figures du capitalisme industriel, il considère que les pollutions et l’épuisement des ressources menacent la pérennité du système économique.
Le contexte géopolitique pèse sur la mise en place de la conférence, programmée en juin 1972 à Stockholm. Si les pays de l’Est sont actifs dans les discussions préparatoires, ils se retirent lorsque les Nations unies décident de ne pas inviter la République démocratique allemande (RDA), qui ne sera admise dans l’organisation internationale qu’en 1973, avec la République fédérale. C’est finalement autour du clivage Nord-Sud que se focalisent les débats.
(Lire la suite pages 22 et 23.)
L’ascen(sion) de (ZÂR)(ATHUST)(RÂ)
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