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MARS 2024 – Le Monde diplomatique | 2 Barbara à Gaza A LORS que le nombre de victimes civiles à Gaza s’accroît, les dirigeants occi- dentaux, qui ont résolu de ne prendre aucune mesure contre leur allié israélien, feignent de déplorer son acharnement. Le président américain Joseph Biden et son secrétaire d’État Antony Blinken, chefs de file de ce camp nimbé de vertu, confient chaque jour ou presque leur agacement, voire leur colère, contre M. Benyamin Netanyahou (qui n’en a cure) tout en se démenant pour que le Congrès américain verse à son gouvernement 14 milliards de dollars d’aide supplémentaire. Un genre d’article s’impose dans les médias qui consiste à effacer les livraisons massives d’obus et de bombes occidentales avec des proclamations de bonnes intentions (1). Pas seulement aux États-Unis, pas seulement de la part des journalistes (et d’ail- leurs pas de tous). Ainsi, le 12 février dernier, France Inter recevait M. Boris Vallaud, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. Le journaliste Simon Le Baron évoque la « situation humanitaire catastrophique » à Gaza avant d’interroger le député, acteur politique et pas simple commentateur : « Est-ce que les mots suf- fisent ? » Il récolte alors une moisson de… mots : « épouvantable », « des milliers et des milliers de morts, des enfants, des femmes », « on manque de tout, d’eau, de vivres, de médicaments ». Et, pour conclure, cet avertissement cinglant : « En tout cas stop là, parce que ça n’est pas possible ! » Nullement étourdi par la virtuosité verbale de son interlocuteur, qui n’a pas hésité à citer les vers d’une chanson de Barbara sur « les enfants qui sont les mêmes » à Gaza et à Jérusalem pour appuyer son émotion, Le Baron donne aussitôt la parole à un auditeur, « Marc ». Mais ce jour-là, contrairement à la pratique de Nico- las Demorand, animateur habituel de la matinale, l’auditeur n’est pas interrompu au bout de quelques secondes. Marc réclame donc que le député, allant au-delà des « mots qui ne suffisent pas », lui dise, « concrètement », « s’il ne faut pas obtenir un embargo sur les armes à destination d’Israël. Et demander que Netanyahou et son gouvernement soient traduits devant la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité, voire pour génocide ». Marc demande enfin que la justice fran- çaise s’intéresse « aux double-nationaux qui servent dans l’armée israélienne pour vérifier qu’ils ne se rendent pas coupables de crimes de guerre ». Des questions précises. Les réponses le sont moins. Embargo sur les armes ? « Je ne suis pas capable de vous dire », admet M. Vallaud, apparemment moins en verve que lorsque, quelques secondes plus tôt, il citait Barbara. Le député français sug- gère néanmoins que le président… américain « bouge encore, dise que ce qui se passe n’est pas admissible ». Le Baron enchaîne : « Très concrètement, est-ce que les Occidentaux doivent menacer, voire prendre des sanctions ? » Le président du groupe socialiste dégaine à nouveau sa formule-choc : « Écoutez, je ne suis pas capable de vous dire… En tout cas, il faut que la pression diplomatique soit, j’al- lais dire, sans nuances. (…) Et à l’égard non seulement d’Israël, évidemment, mais aussi des États-Unis, qui ont la clé. » Le Baron n’en reste pas là : « La dernière question, c’était sur les binationaux, les Franco-Israéliens qui servent dans l’armée israélienne, qu’est-ce que vous en pen- sez ? » On entend M. Vallaud soupirer, puis : « Écoutez, je… ils sont binationaux, soumis au service militaire. Il y a des règles du droit de la guerre. Elles s’imposent à toutes les armées. » Résumé : il faudrait que M. Biden réprimande M. Netanyahou, que les États-Unis utilisent davantage leur « clé » et que les militaires binationaux respectent le droit de la guerre. Les enfants de Gaza, qui « sont les mêmes » que ceux d’Ukraine ou de Jérusalem, sont presque déjà sauvés. SERGE HALIMI. (1) Cf. Jack Mirkinson, « Biden Is Mad at Netanyahu ? Spare Me », The Nation, New York, 13 février 2024. AUTOROUTE VERS L’ENFER ? Le professeur de Harvard Gordon Hanson semble terrifié par le « nouveau consensus commercial de Washington », dont il attribue la paternité à M. Robert Lighthizer, négociateur commercial de M. Donald Trump ( Foreign Affairs, janvier-février 2024). Ce programme de commerce international – appelé unilatéralisme pragmatique – combine l’assurance de M. Trump et la politique industrielle de M. [Joseph] Biden. Il comporte des mesures que les écologistes et les militants syndicaux préconisent depuis longtemps et appelle à une application réaliste de la puissance américaine qui plairait aux conservateurs traditionnels. Il y a dix ans, une telle proposition n’aurait suscité que peu de soutien. Aujourd’hui, il pourrait constituer un compromis acceptable par les démocrates et les républicains, en dépit du blocage du Congrès. Les deux partis semblant converger en matière de politique économique, le programme commercial de M. Lighthizer pourrait prendre corps grâce aux alternances, les nouveaux présidents développant les politiques commerciales et industrielles de leurs prédécesseurs au lieu de les bouleverser. (…) Si Washington poursuit sur la voie de l’unilatéralisme commercial, il déstabilisera les alliances et les institutions mondiales qu’il a mis sept décennies à construire. COURRIER DES LECTEURS Soins L’article « Soignants suspendus, autopsie d’une erreur » (février) a suscité plusieurs réactions. Mme Irène Doiron et M. Pierre Leyraud déplorent qu’il fasse abstraction des circonstances dans lesquelles les pouvoirs publics ont tenté d’imposer la vaccination contre le Covid-19 à une partie de la population : On reste avec l’impression que l’État n’aurait pas dû prendre des mesures contraignantes ou créer des obligations en regard d’une situation non seulement nouvelle, mais surtout incertaine. Y avait-il des alternatives à ces mesures contraignantes ? Les auteurs auraient dû davantage tenir compte du contexte d’incertitude, de nouveauté et d’impréparation qui existait au début de l’épidémie et de l’hécatombe, même chez des jeunes sans comorbidités. Bien des gens ont été soulagés quand les vaccins sont arrivés, qui ont permis de renouer les liens sociaux. Un lecteur souhaitant conserver l’anonymat pour des raisons professionnelles précise, quant à lui, que d’autres salariés ont été mis à l’écart au cours de cette période : Technicien en prévention des risques professionnels pour un service de santé au travail, j’ai été suspendu, bien que n’étant pas soignant et jamais au contact de personnes fragiles mais seulement de salariés dans le cadre de leur travail. (…) Même chose pour des collègues administratifs, n’ayant aucun contact avec les usagers et même très peu avec leurs collègues, et qui auraient pu télétravailler à 100 %, ce qui leur a été interdit ! M. Philippe Riel suggère, quant à lui, d’interpréter avec prudence le graphique figurant dans le même dossier « Santé à la casse » sur le lien entre espérance de vie et dépenses de santé : La relation entre les deux variables semble sauter aux yeux : l’espérance de vie d’un pays sera d’autant plus élevée qu’il investit dans sa santé. Une exception : les États-Unis. On en conclut d’emblée que leur système de santé est profondément dysfonctionnel. (…) Or l’espérance de vie américaine est susceptible de tenir à des problèmes sociaux comme la crise des opioïdes, les inégalités, l’insécurité alimentaire… Reste à comprendre pourquoi les Américains dépensent autant en matière de santé. Les ennemis de l’assurance universelle insistent sur le niveau technologique du système de soins (…). En réalité, soumettre la santé aux exigences du marché engendre des problèmes majeurs de surcoûts. Structures oligopolistiques, frais administratifs excessifs, nombreux intermédiaires, pratiques anticompétitives…, voilà autant de sources d’inflation des prix d’assurances privées et de médicaments. Jacques Delors Réagissant à l’article « À Jacques Delors, le grand marché unique européen reconnaissant » (février), M. Denis Monod-Broca souhaite que soient explorés les mécanismes qui permettent au capitalisme de neutraliser les contestations qu’il provoque : Dans son essai Métamorphose du bourgeois (Calmann-Lévy, Paris, 1968), Jacques Ellul montre comment notre société capitaliste bourgeoise sait ingérer, digérer, absorber, les unes après les autres, toutes les contestations qu’elle ne manque pas de susciter, aussi radicales soient-elles. La carrière politique de Jacques Delors illustre cet étrange phénomène. (…) François Ruffin conclut son article sur le « droit d’inventaire » qu’exige l’« immense héritage » de Delors. Ne faut-il pas aller au-delà ? Ne faut-il pas s’interroger sur le mécanisme luimême, sur ce mécanisme anthropologique et social, si bien décrit par Ellul, et dont nous sommes à la fois les acteurs et les jouets, ne faut-il pas s’interroger sur les forces à l’œuvre ? La principale d’entre elles n’estelle pas, tout simplement est-on tenté de dire, la convoitise… individuelle ou collective, plus ou moins dissimulée, parée parfois de superbes atours idéologiques ? Israël-Palestine Nos multiples articles sur la situation au Proche-Orient, notamment ceux de notre dossier « Gaza, l’onde de choc » (décembre), ont inspiré les ré flexions suivantes à Mme Mireille Moutte : À l’origine, deux peuples traumatisés, l’un par la Shoah et l’autre par la Nakba. L’un sur la défensive du « plus jamais ça », l’autre sur la blessure de l’exode et de l’expropriation de ses territoires. Comment ces deux peuples aujourd’hui en replis identitaires, unis par la haine des exactions réciproquement commises, pourraient-ils espérer vivre en paix sur un même territoire ? (…) N’y a-t-il pas meilleur ciment national qu’un ennemi commun ? La solution incontournable de deux États sur un même territoire n’est-elle pas chimérique ? Entretenue depuis l’origine pour que les tensions s’apaisent d’ellesmêmes par l’oubli de l’évolution génération- Concours étudiants V ous êtes étudiant (quelle que soit la filière), vous voulez comprendre le monde et rendre compte de ses transformations, en démontant les ressorts d’un phénomène ou d’un événement. Vous aimeriez témoigner de votre temps, d’in- justices méconnues, d’approches ignorées, ou de mouvements de fond passés inaperçus. Reconnu dans le monde entier, avec ses trente-quatre éditions en vingt-six langues, Le Monde diplomatique vous ouvre ses colonnes grâce à un concours organisé par les Amis du Monde diplomatique (AMD). Nul besoin de diplômes ou de relations dans le journalisme, faites simplement valoir une bonne idée et un travail rigoureux d’enquête ou de reportage. Tentez votre chance, osez défendre un sujet original en l’éclairant au mieux par des informations incontestables, et en le rendant accessible par une écriture aussi limpide que soignée. À l’image du mensuel, les sujets liés à l’actualité interna- tionale, politique, économique et sociale seront privilégiés. Modalités de participation : www.amis.monde-diplomatique.fr/concours Informez-vous, abonnez-vous ... et contribuez à l’indépendance du Monde diplomatique 1 AN - 12 NUMÉROS POUR 79 € INCLUS DANS VOTRE ABONNEMENT Le Monde diplomatique chaque mois en version papier ✚ L’accès aux versions numériques et à l'application mobile ✚ L’intégralité des archives du Monde diplomatique depuis 1954 ✚ Les articles en version audio ✚ Les Atlas du Monde diplomatique en version numérique Offre réservée aux particuliers jusqu’au 30/09/2024 pour un premier abonnement en France métropolitaine. Entreprises et étranger : nous consulter. 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Denis Texier, professeur de philosophie en lycée, conteste la thèse de l’article « Le droit international du plus fort » (février) selon laquelle les lois internationales sont destinées à défendre l’intérêt des nations dominantes, États-Unis en tête : (…) L’auteur prétend ne voir chez le philosophe et juriste hollandais Hugo Grotius qu’un infâme défenseur du « droit de prise » des bateaux hollandais sur les navires étrangers, ainsi qu’un défenseur de la liberté de navigation de ces mêmes bateaux sur toutes les mers du monde, pour le plus grand bénéfice d’un cousin du juriste. Comme si, in fine, les longues pages d’argumentation tirées des di fférents livres dans lesquels Grotius se demande ce qui peut fonder un droit légitime en matière de relations entre États n’avaient pour seul but que de favoriser les intérêts de la famille de l’auteur, et plus largement, ceux de la nation hollandaise ! Cette relecture (…) ne rend évidemment pas compte de l’apport majeur de cet auteur à l’élaboration d’une législation fondée sur le « droit de nature », notion fondamentale au cœur de la pensée des auteurs dits contractualistes, qui se refusent à voir dans le droit positif, tel qu’il est en vigueur au sein de chaque État, la seule norme de justice légitime. Vous souhaitez réagir à l’un de nos articles : Courrier des lecteurs, 1, av. Stephen-Pichon 75013 Paris ou courrier@monde-diplomatique.fr RECTIFICATIFS – Dans le numéro de janvier 2024, en page 25, dans le texte consacré à l’ouvrage Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde, le nom de Wole Soyinka a été écrit « Solinka » de manière erronée. – Dans le numéro de février 2024, en page 6, il fallait lire Mme Blinne Ni Ghrálaigh et non M. Blinne Ni Ghrálaigh. En page 7, il est question du roi Mohammed VI et non du roi Mohammed IV. En page 26, dans la note de lecture consacrée à La Ferme des Bertrand, la date de sortie du premier film de Gilles Perret est 1997. Édité par la SA Le Monde diplomatique. Actionnaires : Société éditrice du Monde, Association Gunter Holzmann, Les Amis du Monde diplomatique 1, avenue Stephen-Pichon, 75013 Paris Tél. : 01-53-94-96-01. Télécopieur : 01-53-94-96-26 Courriel : secretariat@monde-diplomatique.fr Site Internet : www.monde-diplomatique.fr Directoire : Benoît BRÉVILLE, président, directeur de la publication Anne-Cécile ROBERT, directrice adjointe Autres membres : Vincent CARON, Élodie COURATIER, Pierre RIMBERT Conseiller éditorial auprès du directeur de la publication : Serge HALIMI Conseiller en finance et développement auprès du directoire : Bruno LOMBARD Secrétaire générale : Anne CALLAIT-CHAVANEL Directeur de la rédaction : Benoît BRÉVILLE Rédacteur en chef : Akram BELKAÏD Rédacteurs en chef adjoints : Evelyne PIEILLER, Grégory RZEPSKI Cheffes d’édition : Angélique MOUNIER-KUHN (Manière de voir), Anne-Lise THOMASSON (Le Monde diplomatique) Rédaction : Philippe DESCAMPS, Renaud LAMBERT, Hélène RICHARD, Pierre RIMBERT, Anne-Cécile ROBERT Cartographie : Cécile MARIN Site Internet : Guillaume BAROU Conception artistique : Nina HLACER, Boris SÉMÉNIAKO (avec la collaboration de Delphine LACROIX pour l’iconographie) Archives et données numériques : Suzy GAIDOZ, Maria IERARDI Mise en pages et photogravure : Jérôme GRILLIÈRE, Patrick PUECH-WILHEM Correction : Dominique MARTEL, Xavier MONTHÉARD Directeur commercial et administratif : Vincent CARON Directrice des relations sociales : Élodie COURATIER Responsable du contrôle de gestion : Zaïa SAHALI Administration : Sophie DURAND-NGÔ (9674), Sylvia DUNCKEL (9621), Eleonora FALETTI (9601) Courriel : prenom.nom@monde-diplomatique.fr Fondateur : Hubert BEUVE-MÉRY. 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3 | Le Monde diplomatique – MARS 2024 Après la loi sur l’immigration, la fin annoncée du droit du sol à Mayotte Des « sages » qui se tiennent sages Le 25 janvier dernier, le Conseil constitutionnel français a censuré partiellement la loi dite « immigration ». La droite a dénoncé le « gouvernement des juges ». La gauche a pu saluer une victoire. Syndicats et asso ciations ont vécu cela comme un soulagement. Mais cette décision met surtout en évidence la soumission du Conseil à l’exécutif, et une démocratie de pacotille. Par Lauréline Fontaine * Sous un régime où le pouvoir exécu- tif dicte sa loi, attendre quelque chose du Conseil constitutionnel, c’est comme jouer à la loterie : la plupart du temps on perd ; mais, comme il arrive qu’on gagne, on peut continuer à jouer. Telle serait à première vue la leçon à tirer de la décision rendue sur la loi dite « immigration » le 25 jan- vier 2024 (1). Le Conseil a invalidé trente- cinq dispositions, preuve qu’il jouerait son rôle de contre-pouvoir, et surtout de défen- seur des droits et libertés, à propos d’un texte qui les mettait à rude épreuve. Mieux qu’en avril 2023 sur les retraites donc. Et sur la prochaine révocation du droit du sol à Mayotte ? Lire sa décision du 25 janvier dernier incite à la prudence. Le projet présenté à l’origine par M. Gérald Darmanin en ressort quasi intact : alors que le ministre de l’intérieur y durcissait le sort réservé aux immigrés, y accentuait l’inégalité entre résidents en France et y remettait en cause la solidarité républicaine, ce n’est pas son texte mais celui adopté par le Parlement qui a posé problème au Conseil constitutionnel. Ses « sages » n’ont en effet pas pris la peine d’engager une discussion sérieuse sur le respect des principes politiques protégés par la Constitution, leur signification historique et sociale ou leurs implications. Ce qui aurait nécessité de mettre sur le même plan les dispositions d’origine et celles introduites par amendements. Au lieu de cela, le Conseil a, pour l’essentiel, préféré recourir à la technique commode dite des « cavaliers législatifs » : sans explication, il décide qu’un article (ou un alinéa) ajouté par les parlementaires n’a aucun rapport avec le texte initial du gouvernement, et il le censure pour ce motif. Mais comment la haute juridiction peutelle, par exemple, aller jusqu’à affirmer dans sa décision qu’il n’y a pas de rapport entre le durcissement des conditions de séjour d’un étranger marié avec un ressortissant français et une loi dont l’objet est de « contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » (son intitulé officiel), pour en conclure que la mesure n’aurait pas dû figurer dans le texte ? Personne ne le comprend. Sauf peut-être les experts, qui saluent la constance de la jurisprudence des « sages » – pourtant discutable – et ce faisant légitiment la critique – pas tout à fait inédite – du « gouvernement des juges ». Or le vrai défaut de la décision en trompe-l’œil du 25 janvier tient plutôt à ce que le Conseil ne s’y fait pas assez « juge ». Il y a la forme – une motivation indigente – mais surtout le fondement constitutionnel donné à l’extension continue des prérogatives du pouvoir exécutif. Car le Conseil consent à ce que le président de la République et le gouvernement s’affranchissent des règles du jeu constitutionnel, ou jouent avec, au détriment du Parlement. On doit à cet égard rapprocher la décision « immigration » de celle rendue le 14 avril 2023 sur la loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (décision dite « retraites ») (2). Dans les deux cas, le Conseil a validé des usages et mésusages inédits – voire revendiqués – du texte constitutionnel, sans même énoncer les questions de principe qui auraient, à ce titre, mérité discussion. La décision « retraites » examinait plusieurs problèmes. D’abord, le recours à un projet de loi de financement de la Sécurité sociale : l’article 47-1 de la Constitution permet à l’exécutif de faire peser la menace d’une adoption du texte sans vote. Le choix d’une telle procédure en 2023 pour réformer le système des pensions révélait l’intention du gouvernement de contourner la démocratie parlementaire. Aux termes de l’article 34 de la Constitution, la détermination des principes fondamentaux de la Sécurité sociale relève de la seule compétence des représentants élus de la nation, en particulier la fixation de l’âge légal de départ. Dans sa décision d’avril 2023, le Conseil expédie le problème. Les dispositions de la loi réformant les retraites, estimet-il, auraient bien un « effet » financier, ce qui en ferait des mesures de financement au sens de l’article 47-1. Toute personne qui gère un budget connaît pourtant la différence entre une mesure qui a un effet financier (partir en vacances) et une mesure de financement (faire des économies). L’erreur est patente, mais pas involontaire. Et pas non plus isolée. son secrétariat général ne permettent de le comprendre (3). Fin de la discussion. Ignorance et impuissance Les « sages », dans leur décision d’avril 2023, avaient aussi à statuer sur l’utilisation frénétique d’instruments constitutionnels qui permettent de cir- conscrire la discussion au Parlement ou de passer outre son vote. Non pas seu- lement celui prévu à l’article 47-1 de la Constitution, mais aussi, tour à tour, ceux figurant à l’article 44-3 – le « vote bloqué » devant le Sénat – et au troi- sième alinéa de l’article 49 – le fameux « 49-3 » devant l’Assemblée nationale. Aucun gouvernement n’avait jamais tenté pareille accumulation de manœuvres. Les juges constitutionnels ont seulement trouvé l’empilement « inhabituel ». Avant d’affirmer, sans plus de précision, qu’« en l’espèce », cette « utilisation combinée des procédures (…) n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution ». Mais dans quelles cir- constances la combinaison de manœuvres aurait eu un tel effet ? Et qu’aurait pu ten- ter de plus le gouvernement qui lui aurait en fin valu la censure du Conseil ? Ni la décision ni le commentaire élaboré par Les saisines parlementaires du Conseil constitutionnel soulevaient en dernier lieu le problème des estimations erronées sur le montant des pensions délivrées par le gouvernement au cours des débats à l’Assemblée et au Sénat, en particulier sur le minimum de 1 200 euros, les conditions pour en bénéficier, le nombre de bénéficiaires… Les « sages » ont choisi de n’en tirer, là encore, aucune conséquence, « dès lors que ces estimations ont pu être débattues ». Pourquoi en effet les ministres s’embêteraient-ils à fournir des informations exactes aux parlementaires ? In fine, la décision élaborée rue de Montpensier autorise l’exécutif à balader les représentants du peuple, en leur racontant n’importe quoi ou en s’arrangeant avec les règles, sans plus s’embarrasser de l’équilibre des pouvoirs. En faisant abstraction de la raison d’être d’une Constitution, en somme. * Professeure de droit public et constitutionnel à l’université Paris-III (Sorbonne Nouvelle). Auteure de La Constitution maltraitée. Anatomie du Conseil constitutionnel, Éditions Amsterdam, Paris, 2023. La décision « immigration » du 25 janvier 2024 procède de la même logique. En plus de statuer sur la conformité à la norme suprême du contenu de la loi, IS PA R , IS-B IE PA R GALER - .COM IO INSTUD IUBOL L - IN IU BOL L © LIU BOLIN. – D’après « La Liberté guidant le peuple », 2013 elle devait répondre à deux questions importantes, sur les conditions de son adoption et sur la forme de la saisine du Conseil constitutionnel par le chef de l’État. En premier lieu, au mépris du principe de sincérité des débats législatifs, après l’adoption d’une motion de rejet de son texte le 11 décembre 2023 et une négociation avec Les Républicains, le gouvernement a demandé le vote de dispositions dont il savait, et disait, l’inconstitutionnalité. Puis le président de la République, pourtant gardien des institutions en vertu de l’article 5 de la loi fondamentale, a légitimé ce choix, quand bien même « il y avait des articles qui n’étaient pas conformes à notre Constitution » (France 5, 20 décembre 2023). Par le silence finalement gardé à ce sujet, les magistrats ont validé la constitutionnalité d’une instrumentalisation politique de l’inconstitutionnalité. Le sermon de leur président Laurent Fabius, qui rappelait le 8 janvier dernier à M. Emmanuel Macron que le Conseil n’est pas « une chambre d’appel des choix du Parlement », avait tout d’une mascarade (4). Car, il faut le souligner, alors que le Conseil constitutionnel a plutôt vocation à censurer tout ou partie d’une loi après son adoption au Parlement, sa décision du 25 janvier consiste, à l’inverse, à sauver la version de la loi immigration défendue par le gouvernement après que l’Assemblée nationale l’avait rejetée le 11 décembre. que M. Fabius dirige l’institution. Sous sa présidence, en novembre 2022, le Conseil a ainsi renversé sa jurisprudence sur « la pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires »:alors que, depuis 1993, elle les jugeait « incompatibles avec le respect de la liberté individuelle (7) », les « sages » les acceptent désormais à Mayotte au seul motif que le territoire « est soumis à des risques particuliers d’atteinte à l’ordre public (8) ». Comment ne pas redouter une transposition de ce raisonnement à la dérogation au droit du sol dans le département ? Deux options s’offrent à M. Darmanin pour concrétiser son annonce du 12 février dernier. Soit le gouvernement opte pour une révision constitutionnelle. Dans cette hypo- thèse, « le Conseil n’est pas consulté », comme l’a rappelé M. Fabius en renvoyant à la lettre de l’article 89 (France Info, 14 février 2024). Si la même disposition de la loi fondamentale fixe une limite à ces révisions – « la forme républicaine du gouvernement est intangible » –, les magistrats ont de toute façon explicitement exclu de les contrôler dans une décision de 2003 (9). Soit le ministre tente plutôt de faire adopter une loi ordinaire dont le Conseil constitutionnel serait à coup sûr saisi par l’opposition. Mais en l’état actuel de sa jurisprudence, et au vu des coudées toujours plus franches laissées au pouvoir exécutif, cela reviendra à actionner un bandit manchot en espérant que les dollars s’affichent dans les trois cases. (1) Conseil constitutionnel, décision n° 2023863 DC du 25 janvier 2024, loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, www.conseilconstitutionnel.fr (2) Conseil constitutionnel, décision n° 2023849 DC du 14 avril 2023, loi de financement rectif icative de la Sécurité sociale pour 2023, www.conseil-constitutionnel.fr (3) Conseil constitutionnel, commentaire de la décision n° 2023-849 DC du 14 avril 2023, www.conseil-constitutionnel.fr (4) Abel Mestre, « Loi “immigration” : quand le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, tance Emmanuel Macron sur l’État de droit », Le Monde, 8 janvier 2024. (5) Conseil constitutionnel, décision n° 2022152 ORGA du 11 mars 2022 portant règle- ment intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution, www.conseilconstitutionnel.fr (6) Lire « Du bon usage de la Constitution », Le Monde diplomatique, avril 2023. (7) Conseil constitutionnel, décision n° 93-323 DC du 5 août 1993, loi relative aux contrôles et vérif ications d’identité, www.conseil-constitutionnel.fr (8) Conseil constitutionnel, décision n° 2022-1025 QPC du 25 novembre 2022, www.conseil-constitutionnel.fr (9) Conseil constitutionnel, décision n° 2003469 DC du 26 mars 2003, révision constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République, www.conseil-constitutionnel.fr En second lieu, confortant l’esprit de hauteur dont le président estime devoir faire preuve à l’égard des autres institutions, M. Macron a saisi la haute juridiction sans invoquer, constate le Conseil dans sa décision « immigration », « aucun grief particulier à l’encontre de la loi ». Il s’agissait, ainsi, d’une saisine dite « blanche », comme celle de Mme Élisabeth Borne, alors première ministre, après l’adoption de la réforme des retraites en 2023 ; une saisine en principe irrecevable (5). Mais sur ce point, en 2024 comme en 2023, le Conseil constitutionnel a choisi de ne rien dire. Et raté, une fois de plus, l’occasion de manifester son indépendance vis-à-vis de l’exécutif ; la validation implicite de ses mésusages de la Constitution en fait un pouvoir peu contrôlé, peu responsable, seul titulaire d’une vérité constitutionnelle sur laquelle le Conseil ne prend de toutes les façons pas la peine de se pencher. ISRAËL PA LESTINE Une terre à vif Cette faiblesse n’est pas tout à fait nouvelle. Elle tient au profil des membres de la haute juridiction, souvent d’anciens professionnels de la politique, à leur ignorance du droit ou encore au peu de moyens mis à leur disposition (6) ; mais jamais elle n’avait atteint le niveau observé depuis EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX Également sur www.monde-diplomatique.fr

3 | Le Monde diplomatique – MARS 2024

Après la loi sur l’immigration, la fin annoncée du droit du sol à Mayotte

Des « sages » qui se tiennent sages

Le 25 janvier dernier, le Conseil constitutionnel français a censuré partiellement la loi dite « immigration ». La droite a dénoncé le « gouvernement des juges ». La gauche a pu saluer une victoire. Syndicats et asso ciations ont vécu cela comme un soulagement. Mais cette décision met surtout en évidence la soumission du Conseil à l’exécutif, et une démocratie de pacotille.

Par Lauréline Fontaine *

Sous un régime où le pouvoir exécu- tif dicte sa loi, attendre quelque chose du Conseil constitutionnel, c’est comme jouer à la loterie : la plupart du temps on perd ; mais, comme il arrive qu’on gagne, on peut continuer à jouer. Telle serait à première vue la leçon à tirer de la décision rendue sur la loi dite « immigration » le 25 jan- vier 2024 (1). Le Conseil a invalidé trente- cinq dispositions, preuve qu’il jouerait son rôle de contre-pouvoir, et surtout de défen- seur des droits et libertés, à propos d’un texte qui les mettait à rude épreuve. Mieux qu’en avril 2023 sur les retraites donc. Et sur la prochaine révocation du droit du sol à Mayotte ? Lire sa décision du 25 janvier dernier incite à la prudence.

Le projet présenté à l’origine par M. Gérald Darmanin en ressort quasi intact : alors que le ministre de l’intérieur y durcissait le sort réservé aux immigrés, y accentuait l’inégalité entre résidents en France et y remettait en cause la solidarité républicaine, ce n’est pas son texte mais celui adopté par le Parlement qui a posé problème au Conseil constitutionnel. Ses « sages » n’ont en effet pas pris la peine d’engager une discussion sérieuse sur le respect des principes politiques protégés par la Constitution, leur signification historique et sociale ou leurs implications. Ce qui aurait nécessité de mettre sur le même plan les dispositions d’origine et celles introduites par amendements.

Au lieu de cela, le Conseil a, pour l’essentiel, préféré recourir à la technique commode dite des « cavaliers législatifs » : sans explication, il décide qu’un article (ou un alinéa) ajouté par les parlementaires n’a aucun rapport avec le texte initial du gouvernement, et il le censure pour ce motif. Mais comment la haute juridiction peutelle, par exemple, aller jusqu’à affirmer dans sa décision qu’il n’y a pas de rapport entre le durcissement des conditions de séjour d’un étranger marié avec un ressortissant français et une loi dont l’objet est de « contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » (son intitulé officiel), pour en conclure que la mesure n’aurait pas dû figurer dans le texte ? Personne ne le comprend. Sauf peut-être les experts, qui saluent la constance de la jurisprudence des « sages » – pourtant discutable – et ce faisant légitiment la critique – pas tout à fait inédite – du « gouvernement des juges ».

Or le vrai défaut de la décision en trompe-l’œil du 25 janvier tient plutôt à ce que le Conseil ne s’y fait pas assez « juge ». Il y a la forme – une motivation indigente – mais surtout le fondement constitutionnel donné à l’extension continue des prérogatives du pouvoir exécutif. Car le Conseil consent à ce que le président de la République et le gouvernement s’affranchissent des règles du jeu constitutionnel, ou jouent avec, au détriment du Parlement. On doit à cet égard rapprocher la décision « immigration » de celle rendue le 14 avril 2023 sur la loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (décision dite « retraites ») (2). Dans les deux cas, le Conseil a validé des usages et mésusages inédits – voire revendiqués – du texte constitutionnel, sans même énoncer les questions de principe qui auraient, à ce titre, mérité discussion.

La décision « retraites » examinait plusieurs problèmes. D’abord, le recours à un projet de loi de financement de la Sécurité sociale : l’article 47-1 de la Constitution permet à l’exécutif de faire peser la menace d’une adoption du texte sans vote. Le choix d’une telle procédure en 2023 pour réformer le système des pensions révélait l’intention du gouvernement de contourner la démocratie parlementaire. Aux termes de l’article 34 de la Constitution, la détermination des principes fondamentaux de la Sécurité sociale relève de la seule compétence des représentants élus de la nation, en particulier la fixation de l’âge légal de départ. Dans sa décision d’avril 2023, le Conseil expédie le problème. Les dispositions de la loi réformant les retraites, estimet-il, auraient bien un « effet » financier, ce qui en ferait des mesures de financement au sens de l’article 47-1. Toute personne qui gère un budget connaît pourtant la différence entre une mesure qui a un effet financier (partir en vacances) et une mesure de financement (faire des économies). L’erreur est patente, mais pas involontaire. Et pas non plus isolée.

son secrétariat général ne permettent de le comprendre (3). Fin de la discussion.

Ignorance et impuissance Les « sages », dans leur décision d’avril 2023, avaient aussi à statuer sur l’utilisation frénétique d’instruments constitutionnels qui permettent de cir- conscrire la discussion au Parlement ou de passer outre son vote. Non pas seu- lement celui prévu à l’article 47-1 de la Constitution, mais aussi, tour à tour, ceux figurant à l’article 44-3 – le « vote bloqué » devant le Sénat – et au troi- sième alinéa de l’article 49 – le fameux « 49-3 » devant l’Assemblée nationale. Aucun gouvernement n’avait jamais tenté pareille accumulation de manœuvres. Les juges constitutionnels ont seulement trouvé l’empilement « inhabituel ». Avant d’affirmer, sans plus de précision, qu’« en l’espèce », cette « utilisation combinée des procédures (…) n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution ». Mais dans quelles cir- constances la combinaison de manœuvres aurait eu un tel effet ? Et qu’aurait pu ten- ter de plus le gouvernement qui lui aurait en fin valu la censure du Conseil ? Ni la décision ni le commentaire élaboré par

Les saisines parlementaires du Conseil constitutionnel soulevaient en dernier lieu le problème des estimations erronées sur le montant des pensions délivrées par le gouvernement au cours des débats à l’Assemblée et au Sénat, en particulier sur le minimum de 1 200 euros, les conditions pour en bénéficier, le nombre de bénéficiaires… Les « sages » ont choisi de n’en tirer, là encore, aucune conséquence, « dès lors que ces estimations ont pu être débattues ». Pourquoi en effet les ministres s’embêteraient-ils à fournir des informations exactes aux parlementaires ? In fine, la décision élaborée rue de Montpensier autorise l’exécutif à balader les représentants du peuple, en leur racontant n’importe quoi ou en s’arrangeant avec les règles, sans plus s’embarrasser de l’équilibre des pouvoirs. En faisant abstraction de la raison d’être d’une Constitution, en somme.

* Professeure de droit public et constitutionnel à l’université Paris-III (Sorbonne Nouvelle). Auteure de La Constitution maltraitée. Anatomie du Conseil constitutionnel, Éditions Amsterdam, Paris, 2023.

La décision « immigration » du 25 janvier 2024 procède de la même logique. En plus de statuer sur la conformité à la norme suprême du contenu de la loi,

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LIU BOLIN. – D’après « La Liberté guidant le peuple », 2013

elle devait répondre à deux questions importantes, sur les conditions de son adoption et sur la forme de la saisine du Conseil constitutionnel par le chef de l’État. En premier lieu, au mépris du principe de sincérité des débats législatifs, après l’adoption d’une motion de rejet de son texte le 11 décembre 2023 et une négociation avec Les Républicains, le gouvernement a demandé le vote de dispositions dont il savait, et disait, l’inconstitutionnalité. Puis le président de la République, pourtant gardien des institutions en vertu de l’article 5 de la loi fondamentale, a légitimé ce choix, quand bien même « il y avait des articles qui n’étaient pas conformes à notre Constitution » (France 5, 20 décembre 2023). Par le silence finalement gardé à ce sujet, les magistrats ont validé la constitutionnalité d’une instrumentalisation politique de l’inconstitutionnalité.

Le sermon de leur président Laurent Fabius, qui rappelait le 8 janvier dernier à M. Emmanuel Macron que le Conseil n’est pas « une chambre d’appel des choix du Parlement », avait tout d’une mascarade (4). Car, il faut le souligner, alors que le Conseil constitutionnel a plutôt vocation à censurer tout ou partie d’une loi après son adoption au Parlement, sa décision du 25 janvier consiste, à l’inverse, à sauver la version de la loi immigration défendue par le gouvernement après que l’Assemblée nationale l’avait rejetée le 11 décembre.

que M. Fabius dirige l’institution. Sous sa présidence, en novembre 2022, le Conseil a ainsi renversé sa jurisprudence sur « la pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires »:alors que, depuis 1993, elle les jugeait « incompatibles avec le respect de la liberté individuelle (7) », les « sages » les acceptent désormais à Mayotte au seul motif que le territoire « est soumis à des risques particuliers d’atteinte à l’ordre public (8) ».

Comment ne pas redouter une transposition de ce raisonnement à la dérogation au droit du sol dans le département ? Deux options s’offrent à M. Darmanin pour concrétiser son annonce du 12 février dernier. Soit le gouvernement opte pour une révision constitutionnelle. Dans cette hypo-

thèse, « le Conseil n’est pas consulté », comme l’a rappelé M. Fabius en renvoyant à la lettre de l’article 89 (France Info, 14 février 2024). Si la même disposition de la loi fondamentale fixe une limite à ces révisions – « la forme républicaine du gouvernement est intangible » –, les magistrats ont de toute façon explicitement exclu de les contrôler dans une décision de 2003 (9). Soit le ministre tente plutôt de faire adopter une loi ordinaire dont le Conseil constitutionnel serait à coup sûr saisi par l’opposition. Mais en l’état actuel de sa jurisprudence, et au vu des coudées toujours plus franches laissées au pouvoir exécutif, cela reviendra à actionner un bandit manchot en espérant que les dollars s’affichent dans les trois cases.

(1) Conseil constitutionnel, décision n° 2023863 DC du 25 janvier 2024, loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, www.conseilconstitutionnel.fr

(2) Conseil constitutionnel, décision n° 2023849 DC du 14 avril 2023, loi de financement rectif icative de la Sécurité sociale pour 2023, www.conseil-constitutionnel.fr

(3) Conseil constitutionnel, commentaire de la décision n° 2023-849 DC du 14 avril 2023, www.conseil-constitutionnel.fr

(4) Abel Mestre, « Loi “immigration” : quand le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, tance Emmanuel Macron sur l’État de droit », Le Monde, 8 janvier 2024.

(5) Conseil constitutionnel, décision n° 2022152 ORGA du 11 mars 2022 portant règle-

ment intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution, www.conseilconstitutionnel.fr

(6) Lire « Du bon usage de la Constitution », Le Monde diplomatique, avril 2023.

(7) Conseil constitutionnel, décision n° 93-323 DC du 5 août 1993, loi relative aux contrôles et vérif ications d’identité, www.conseil-constitutionnel.fr

(8) Conseil constitutionnel, décision n° 2022-1025 QPC du 25 novembre 2022, www.conseil-constitutionnel.fr

(9) Conseil constitutionnel, décision n° 2003469 DC du 26 mars 2003, révision constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République, www.conseil-constitutionnel.fr

En second lieu, confortant l’esprit de hauteur dont le président estime devoir faire preuve à l’égard des autres institutions, M. Macron a saisi la haute juridiction sans invoquer, constate le Conseil dans sa décision « immigration », « aucun grief particulier à l’encontre de la loi ». Il s’agissait, ainsi, d’une saisine dite « blanche », comme celle de Mme Élisabeth Borne, alors première ministre, après l’adoption de la réforme des retraites en 2023 ; une saisine en principe irrecevable (5). Mais sur ce point, en 2024 comme en 2023, le Conseil constitutionnel a choisi de ne rien dire. Et raté, une fois de plus, l’occasion de manifester son indépendance vis-à-vis de l’exécutif ; la validation implicite de ses mésusages de la Constitution en fait un pouvoir peu contrôlé, peu responsable, seul titulaire d’une vérité constitutionnelle sur laquelle le Conseil ne prend de toutes les façons pas la peine de se pencher.

ISRAËL PA LESTINE Une terre à vif

Cette faiblesse n’est pas tout à fait nouvelle. Elle tient au profil des membres de la haute juridiction, souvent d’anciens professionnels de la politique, à leur ignorance du droit ou encore au peu de moyens mis à leur disposition (6) ; mais jamais elle n’avait atteint le niveau observé depuis

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