Éditorial
Octobre 1924, le recueil d’André Breton intitulé Poisson Soluble paraît aux Éditions du Sagittaire (Paris), accompagné d’un texte théorique qui, très rapidement après sa publication, volera la vedette aux trente-et-un poèmes en prose qu’il préface. Ce texte n’est autre que le Manifeste du surréalisme, acte de naissance d’un mouvement littéraire et artistique né dans le sillage de Dada dont le centenaire est commémoré cette rentrée à travers diverses manifestations culturelles d’enver- gure qui seront présentées à Paris, épicentre de ce nouvel élan d’avant-garde, mais également dans d’autres villes.
Notre couverture présente un objet de pouvoir nkisi n’kondi kongo (RDC). Cette scupture conservée par la Congrégation du Saint-Esprit (Cssp) est présentée dans l’exposition Surréalisme : zones de contact, coorganisée par Charles-Wesley Hourdé et Nicolas Rolland (H+R Art Consult), sous le commissariat de Yaëlle Biro. © Congrégation du Saint-Esprit.
En bon « rêveur définitif », pour reprendre la belle formule avec laquelle Breton se réfère à l ’homme dès la troisième ligne de ces pages fondatrices, l ’intellectuel y livre non sans véhémence une réflexion quant au besoin de voir émerger une poésie — et par extension une pratique artistique en général — affranchie de la rectitude de la raison et explorant les libres associations nées du rêve et des régions d’ombre de l ’inconscient. « Le seul mot de liberté est tout ce qui m’exalte encore » y écrit-il également plus loin. Cette liberté, les surréalistes la rechercheront dans leur monde intérieur tout autant que dans des manifestations culturelles échappant au carcan occidental, et plus particulièrement dans celles émanant des sociétés traditionnelles d’Amérique du Nord et d’Océanie, pour lesquelles ils cultivèrent une fascination toute particulière, au point de multiplier les références à leurs pratiques artistiques dans de nombreuses publication du groupe et de développer des collections personnelles d’objets originaires de cet Ailleurs.
Ce goût affirmé des surréalistes ayant tant contribué à la reconnaissance des arts extra-européens amorcée à l ’aube du XXe siècle traverse cette édition de Tribal Art magazine, notamment grâce à un article de Sebastian Miller présentant la nouvelle muséographie des salles permanentes du Museum Of Anthropology At The University Of British Columbia de Vancouver aini qu’à un dossier dû à Deborah B. Waite proposant une analyse des grands bols crocodiles et d’autres artéfacts liés aux banquets produits dans les îles Salomon à travers le prisme de l ’agencement des images. Notre hommage à ces visionnaires audacieux que furent les surréalistes s’exprime plus ouvertement dans deux autres articles inclus en fin de volume. Signée par Jean-Philippe Beaulieu, notre « histoire d’objet » est consacrée à la fameuse sculpture funéraire uli de Nouvelle-Irlande qu’André Breton convoita pendant près de trente-cinq ans, avant de pouvoir la faire entrer dans son célèbre atelier du 42 rue Fontaine. Enfin, un entretien à trois voix avec Yaëlle Biro, Charles-Wesley Hourdé et Nicolas Rolland, responsables de l ’exposition Surréalisme : zones de contact, qui sera présentée du 3 au 20 septembre dans l ’espace parisien Les Verrières, nous aura permis de revenir sur les liens avérés ou possibles entre le surréalisme et les arts extraeuropéens. Organisée avec le soutien exceptionnel du Centre Pompidou, de l ’Association atelier André Breton et de l ’Association professionnelle des galeries d’art, cet événement de qualité muséale à bien des égards s’intègrera tout naturellement à Parcours des mondes qui se tiendra, cette année, du 10 au 15 septempre prochain.
Très attendue des amateurs d’arts d’Afrique, d’Océanie, d’Asie et des Amériques, la 23e édition de ce grand rendez-vous international fait l ’objet d’un cahier spécial dévoilant certains aspects de ce que les visiteurs pourront y découvrir. Ces pages incluent également les précieux témoignages de plusieurs de ses participants : Guilhem Montagut d’une part, et, de l ’autre, Ana et Antonio Casanovas, qui reviennent au salon après plusieurs années d’absence accompagnés de leur fils Damián, qui a récemment rejoint l ’équipe de la galerie familiale. Que d’histoires vibrantes attendent nos lecteurs !
Elena Martínez-Jacquet
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