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Vla décennie écoulée ». Cela revient à concéder que les années 2014-2024 ont davantage été marquées par son r ival républicain Donald Trump que par les réalisations de sa propre administration ou de cel le de M. Barack Obama. La chose est un peu injuste pour M. Joseph Biden – et accessoirement pour Mme Harris el le-même –, dont le bi lan économique et social est appréciable. El le se justi fie mieux dans le cas du premier président afro-américain de l’h istoi re des États-Unis. Son élection en 2008 a suscité l’une des plus grandes vagues d’enthousiasme pol it ique des cinquante dern ières années. Or qu’en reste-t-i l ? Avoir fracassé le « plafond de verre » le plus redoutable, celui de l’accession à la présidence, de surcroît en obtenant 43 % des votes des électeurs blancs, être jeune, supérieurement intel l igent, excellent orateur, être réélu en fi n : r ien de tout cela n’empêcha que ce double mandat Obama (2009-2017), né sous le signe du volontarisme (« Yes, we can »), se conclue par la victoire de M. Trump, son antithèse absolue. Depuis qu’el le a remplacé subitement M. Biden comme candidate de son parti, Mme Harris suscite un enthousiasme que n’expliquent ni sa carrière politique ni ses projets. À croire que l’A mérique peine à résister aux engouements symboliques 1. Indéboulonnable ? Par Serge Halimi Vice-présidente démocrate en exercice, Mme Kamala Harris veut « tourner la page de Pendant que les démocrates croient avoir trouvé une nouvelle fig ure de proue, les républicains disposent plus que jamais de la leur. Avant d’échapper aux balles d’un t i reur, de se relever le visage ensanglanté et de scander « F ight , fight , fight », une scène Incarner l’homme qui ne se rend jamais, même au verdict d’un électorat qui l’a désavoué après quatre ans de mandat de cinéma-vérité presque parfaite, la photographie d’ident i ficat ion jud icia i re de M. Trump, visage déterminé, presque rogue, avec, dans le fond du décor, le badge d’un shérif de Floride, ser vait déjà de motif icon ique à des a ffiches et T-sh i r ts qu’on retrouve à présent dans tout le pays. Incarner l’homme qui ne se rend jamais, même… au verdict d’un électorat qui l’a désavoué après quatre ans de mandat. Cet acharnement lu i a permis de surmon- 1 . L i re Benoît Brévi l le et Serge Hal im i , « Obama ou les l im ites du symbol isme », Manière de voir, n° 149, octobre-novembre 2016. 2 . Rég is Debray, L’Édit de Caracalla , Fayard, Par is , 2002 . 3. Employée la prem ière fois par le président Cl i nton en 1996, la formule « nation indispensable » a été repr ise par le min ist re de la défense du président T r ump James Mattis en 2018, par le président Biden en 2023, etc. Le président George W. Bush est imait pour sa par t : « Notre nation est choisie par Dieu et commandée par l ’hi stoire pour être le modèle du monde. » ter deux procès en impeachment (cas unique dans l’h istoi re des États-Unis), quatre procédures cr iminelles, 91 chefs d’i nculpation, 34 condamnations, des milliers de mensonges. Et lu i a également permis de sur vivre à des médias qui le haïssent, à des soupçons de prévarication et à une incitat ion à l’i nsurrection. Ses partisans le croient insubmersible. On peut décrier leur aveuglement. À condit ion de ne pas donner quitus à leurs adversaires de la ver tu qu’i ls a ffichent. Car pendant le mandat de M. Trump, les démocrates et la presse dite « de qualité », le New York Times et le Washington Post en particulier, ont recouru à des moyens peu honorables pour l’empêcher de gouverner. Pendant trois ans, i ls l’ont accusé d’avoir comploté avec Moscou. D’abord pour bat tre en 2016 la candidate démocrate Hillar y Clinton grâce à des in formations sur sa campagne, piratées par des hackeurs russes. Ensuite, une fois instal lé à la Maison Blanche, M. Trump aurait payé ses det tes envers M. Vladimir Poutine en le laissant exécuter ses desseins hégémoniques. Une enquête interminable a fait justice de cet te prétendue affaire du « Russiagate ». Mais cela n’a pas empêché les démocrates, Google, Facebook, Twitter et les ser vices de renseignement américains de s’entendre lors de l’élect ion suivante pour censurer quelques jours avant le scrutin des in formations embarrassantes pour la famille Biden. Motif invoqué ? Empêcher une « opération de désinformation russe »… La violence des a ff rontements pol it iques actuels t ient aussi à ce sentiment de chaque camp que l’adversaire tr iche, manipule, ment, menace sa l iber té – et la l iber té tout court. 4 //// MANIÈRE DE VOIR //// Éditorial Photos / Magnum Drake lyn Caro ©
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Dans un domaine, pourtant, la « décennie écoulée » a marqué une cer taine continuité entre la politique des républicains et cel le des démocrates. I l s’ag it de l’host i l ité à la mondialisation. Opposé aux politiques l ibre-échangistes des présidents Bush père et fi ls, Clinton et Obama, M. Trump a pourfendu le « carnage américain » qui selon lu i en découlait. La leçon a été retenue. Car depuis, le protectionnisme et les politiques industrielles sont de r igueur aux États-Unis. Sur ce point, M. Biden a non seulement suivi la voie tracée par son prédécesseur, mais i l y a ajouté une vision stratégique antichinoise ( le refus de dépendre des chaînes d’approvisionnement) et des moyens fi nanciers (2 500 milliards de dollars au bas mot). Même l’Un ion européenne, pourtant droguée au néolibéralisme, a dû suivre. Régis Debray a suggéré un jour que l’Europe vivait tel lement sous la tutelle de Washington que ses citoyens devraient pouvoir voter lors des élect ions américaines a fi n de déterminer leur propre destin 2 . Ouvertement cynique (« transactionnelle »), la pol it ique étrangère de M. Trump a eu au moins pour avantage de détendre cet te laisse transatlantique en r id iculisant l’idée qu’Europe et États-Unis – la « nation indispensable 3 » – avaient pour mission commune de défendre la démocratie dans le monde. Mais l’administration Biden-Harris a marqué le retour de cet « impérialisme de la ver tu » ( lire l’article de Christopher Mott page 62) qui gronde ou punit Moscou et Pékin, caresse et soutient R iyad ou Tel-Aviv. Le peuple américain a intérêt à l’échec de M. Trump. Pour les Européens c’est moins cer tain. Car dans le cas contraire, peut-être perdraient-ils en fi n l’envie de demeurer les petits soldats du président américain et résisteraient-i ls plus faci lement à la tentation de prêcher au reste du monde les sermons hypocrites de l’Occident. n Carolyn Drake ///// Les marchands de bétail et les camionneurs attendent que le bétail passe la frontière entre le Mexique et les États-Unis, Douglas, Arizona, 2016. Éditorial //// MANIÈRE DE VOIR //// 5

Vla décennie écoulée ». Cela revient à concéder que les années 2014-2024 ont davantage été marquées par son r ival républicain Donald Trump que par les réalisations de sa propre administration ou de cel le de M. Barack Obama. La chose est un peu injuste pour M. Joseph Biden – et accessoirement pour Mme Harris el le-même –, dont le bi lan économique et social est appréciable. El le se justi fie mieux dans le cas du premier président afro-américain de l’h istoi re des États-Unis. Son élection en 2008 a suscité l’une des plus grandes vagues d’enthousiasme pol it ique des cinquante dern ières années. Or qu’en reste-t-i l ? Avoir fracassé le « plafond de verre » le plus redoutable, celui de l’accession à la présidence, de surcroît en obtenant 43 % des votes des électeurs blancs, être jeune, supérieurement intel l igent, excellent orateur, être réélu en fi n : r ien de tout cela n’empêcha que ce double mandat Obama (2009-2017), né sous le signe du volontarisme (« Yes, we can »), se conclue par la victoire de M. Trump, son antithèse absolue. Depuis qu’el le a remplacé subitement M. Biden comme candidate de son parti, Mme Harris suscite un enthousiasme que n’expliquent ni sa carrière politique ni ses projets. À croire que l’A mérique peine à résister aux engouements symboliques 1.

Indéboulonnable ? Par Serge Halimi Vice-présidente démocrate en exercice, Mme Kamala Harris veut « tourner la page de

Pendant que les démocrates croient avoir trouvé une nouvelle fig ure de proue, les républicains disposent plus que jamais de la leur. Avant d’échapper aux balles d’un t i reur, de se relever le visage ensanglanté et de scander « F ight , fight , fight », une scène

Incarner l’homme qui ne se rend jamais, même au verdict d’un électorat qui l’a désavoué

après quatre ans de mandat de cinéma-vérité presque parfaite, la photographie d’ident i ficat ion jud icia i re de M. Trump, visage déterminé, presque rogue, avec, dans le fond du décor, le badge d’un shérif de Floride, ser vait déjà de motif icon ique à des a ffiches et T-sh i r ts qu’on retrouve à présent dans tout le pays. Incarner l’homme qui ne se rend jamais, même… au verdict d’un électorat qui l’a désavoué après quatre ans de mandat. Cet acharnement lu i a permis de surmon-

1 . L i re Benoît Brévi l le et Serge Hal im i , « Obama ou les l im ites du symbol isme », Manière de voir, n° 149, octobre-novembre 2016. 2 . Rég is Debray, L’Édit de Caracalla , Fayard, Par is , 2002 . 3. Employée la prem ière fois par le président Cl i nton en 1996, la formule « nation indispensable » a été repr ise par le min ist re de la défense du président T r ump James Mattis en 2018, par le président Biden en 2023, etc. Le président George W. Bush est imait pour sa par t : « Notre nation est choisie par Dieu et commandée par l ’hi stoire pour être le modèle du monde. »

ter deux procès en impeachment (cas unique dans l’h istoi re des États-Unis), quatre procédures cr iminelles, 91 chefs d’i nculpation, 34 condamnations, des milliers de mensonges. Et lu i a également permis de sur vivre à des médias qui le haïssent, à des soupçons de prévarication et à une incitat ion à l’i nsurrection.

Ses partisans le croient insubmersible. On peut décrier leur aveuglement. À condit ion de ne pas donner quitus à leurs adversaires de la ver tu qu’i ls a ffichent. Car pendant le mandat de M. Trump, les démocrates et la presse dite « de qualité », le New York Times et le Washington Post en particulier, ont recouru à des moyens peu honorables pour l’empêcher de gouverner. Pendant trois ans, i ls l’ont accusé d’avoir comploté avec Moscou. D’abord pour bat tre en 2016 la candidate démocrate Hillar y Clinton grâce à des in formations sur sa campagne, piratées par des hackeurs russes. Ensuite, une fois instal lé à la Maison Blanche, M. Trump aurait payé ses det tes envers M. Vladimir Poutine en le laissant exécuter ses desseins hégémoniques. Une enquête interminable a fait justice de cet te prétendue affaire du « Russiagate ». Mais cela n’a pas empêché les démocrates, Google, Facebook, Twitter et les ser vices de renseignement américains de s’entendre lors de l’élect ion suivante pour censurer quelques jours avant le scrutin des in formations embarrassantes pour la famille Biden. Motif invoqué ? Empêcher une « opération de désinformation russe »… La violence des a ff rontements pol it iques actuels t ient aussi à ce sentiment de chaque camp que l’adversaire tr iche, manipule, ment, menace sa l iber té – et la l iber té tout court.

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