FRANÇOIS MITTERRAND, CE FAUX « DÉCOLONISATEUR » – page 19
SI CHERS CONCERTS PAR JEAN-CHRISTOPHE SERVANT Page 27.
Mensuel - 28 pages
N o 847 - 71 e année. Octobre 2024
Élection contestée et tensions diplomatiques
Au Venezuela, une crise sans fin Au cours de la dernière décennie, le Venezuela a connu toutes sortes de dysfonctionnements internes et subi des ingérences déstabilisa trices. Le pays de la « révolution bolivarienne » se consume. Pour quoi le scrutin présidentiel du 28 juillet 2024 n’a-t-il rien résolu ?
Par Christophe
Ventura
Caracas est un bruit. En cette soi- rée du 2 septembre, le chant des coquis, ces petites grenouilles dont les pluies orageuses favorisent l’apparition, prend possession de la ville quand le président Nicolas Máduro ouvre la « rencontre des cinq générations ». Celui dont le troisième mandat (2025-2031) débutera le 10 janvier 2025 réunit un parterre de militants, d’intellectuels, de militaires, de miliciens et de dirigeants historiques du chavisme dans le salon Boyacá du palais présidentiel de Miraflores, situé au cœur de la capitale.
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Forgé à partir du nom de Hugo Chávez, président du Venezuela de 1999 à sa mort en 2013, le chavisme regroupe l’ensemble des forces sociales, politiques et militaires qui constituent le mouvement socio-politique – on parle ici d’« alliance civilo-militaire » – qui défend la « révolution bolivarienne ». Le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), avec ses quatre millions d’ad-
JORGE JULIÁN ARISTIZÁBAL. – « Sans titre », 2016,
de la série « Invisible Wounds » (Blessures invisibles)
hérents revendiqués (sur une population d’environ vingt-huit millions), constitue aujourd’hui la force centrale de ce « bloc historique ». Ces dernières années, toutefois, un chavisme dissident a émergé au sein de la gauche, notamment du Parti communiste vénézuélien (PCV) et des organisations sociales du pays. Ses acteurs dénoncent un virage autoritaire et répressif du gouvernement contre ses opposants, parmi lesquels figurent désormais des syndicalistes ou des grévistes. Ensemble, ils contestent les mesures libérales mises en place en réponse à la crise économique et aux sanctions imposées par les États-Unis (1), la politique de dollarisation, de fait génératrice de fortes inégalités sociales, la libéralisation de plusieurs secteurs d’activité (ressources naturelles, agriculture, exploitation des sous-sols) au travers des zones économiques spéciales (ZES) inspirées du modèle chinois, la privatisation de terres cultivables ou encore des lois favorables aux investisseurs étrangers (exonérations fiscales, facilitations pour le rapatriement des profits, etc.).
(Lire la suite page 7.)
L’histoire face aux manipulateurs L
A capitulation de l’Allemagne était à peine signée que l’Institut français d’opinion publique, l’IFOP, interrogeait déjà les Français : « Quelle est, selon vous, la nation qui a le plus contribué à la défaite de l’Allemagne ? » À l’époque, en mai 1945, chacun avait à l’esprit les millions de soldats soviétiques tombés sur le front de l’Est, leur rôle décisif dans l’affaiblissement de l’armée nazie et l’engagement tardif des Américains dans le conflit. Aussi 57 % des personnes interrogées répondirent-elles « l’URSS », contre seulement 20 % pour « les États-Unis ». Mais quand, en 2024, l’IFOP pose la même question, les réponses sont inversées : 60 % des sondés désignent les Américains et 25 % les Soviétiques.
La mémoire collective est une construction qui varie au gré des époques, des rapports de forces, des intérêts du moment. Au fil du temps, Hollywood a érigé les États-Unis en sauveurs de la planète, avec ses films célébrant l’héroïsme des GI, du Jour le plus long (1962) à Il faut sauver le soldat Ryan (1998), de Patton (1970) à Au-delà de la gloire (1980), et des dizaines d’autres. L’URSS a disparu ; le Parti communiste français (PCF), qui contribuait à entretenir le souvenir du sacrifice soviétique, s’est effondré. Et, depuis quarante ans, l’État célèbre en grande pompe le débarquement de Normandie, pour en faire le tournant de la seconde guerre mondiale.
P a r B e n o î t B r é v i l l e
(1) Cité dans les Mémoires d’Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, tome II, Fayard, Paris, 1997. (1) Lire Maëlle Mariette, « Le Venezuela brisé par les sanctions », Le Monde diplomatique, avril 2022.
corps de clairons local, deux jeunes filles déposant des couronnes de fleurs sur la plage, quelques bombardiers survolant les lieux tout en larguant des bouquets et en tirant des fusées. Si les festivités ont ensuite pris plus d’ampleur, aucun président américain n’envisageait de faire le déplacement. En 1964, le général de Gaulle lui-même refusait de se rendre en Normandie : « Vous voudriez que j’aille commémorer leur débarquement, alors qu’il était le prélude à une seconde occupation du pays ? Non, non, ne comptez pas sur moi (1) ! » Tout change en 1984, dans un contexte de durcissement des tensions américano-soviétiques. Désormais calées pour coïncider avec les émissions télévisées matinales aux ÉtatsUnis, les commémorations du 6 juin prennent un caractère spectaculaire et une dimension géopolitique qu’elles ne perdront plus. François Mitterrand invite alors Ronald Reagan, Élisabeth II, le premier ministre canadien Pierre Elliott Trudeau, Baudouin Ier de Belgique… Le « monde libre » affiche son unité et se pose en protecteur de la démocratie. « Les troupes soviétiques qui vinrent au centre de ce continent ne sont pas parties quand la paix est revenue, accuse Reagan dans un discours au ton offensif. Elles sont encore là, sans être invitées, sans être désirées, sans répit, près de quarante ans après la guerre. »
(Lire la suite pages 14 et 15.)
L’événement a pourtant longtemps été tenu pour relativement mineur. Le 6 juin 1949 par exemple, son cinquième anniversaire s’est résumé à une modeste cérémonie : un
Imputation mensongère d’antisémitisme
L’ a r t d e la diffamation politique Critiquer les positions de La France insoumise, ses choix stratégiques, ses maladresses ou ses emportements a sa place dans le débat démocratique. Propager l’ imputation infamante et mensongère que ce parti et son fondateur seraient « anti sémites » relève en revanche d’une volonté de destruction. Ses effets politiques se font déjà sentir.
Par Serge Halimi et Pierre Rimbert
Le 7 juillet dernier, le Nouveau Front populaire, composé de quatre par- tis, a remporté 193 sièges de député sur 577, devançant la coalition présidentielle (166 sièges) et le Rassemblement natio- nal avec son allié de droite (142). Deux mois plus tard, le président de la Répu- blique désignait un premier ministre, M. Michel Barnier, issu d’une forma- tion néolibérale et conservatrice, Les Républicains (LR), qui venait de recueil- lir 6,57 % des voix au premier tour et d’élire 47 députés au soir du second. Il gouverne avec l’assentiment de l’extrême droite, contre qui les grandes formations (sauf LR) s’étaient coalisées le 7 juillet, et avec le soutien parlementaire du parti présidentiel, perdant incontesté de l’élec- tion. Cette dissonance entre le vote des Français et sa représentation politique est devenue habituelle : M. Barnier devra en effet, comme ses prédécesseurs, suivre la feuille de route européenne rejetée en 2005 par 54,7 % des électeurs.
Le coup de force de M. Emmanuel Macron a été rendu possible par la mise en scène politique et médiatique d’un mensonge : M. Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise (LFI) seraient antisémites. L’accusation – le type même de la fausse information que les autorités françaises combattent lorsqu’elle provient de Moscou ou de la Trump Tower – a permis de réaliser trois objectifs à la fois : ostraciser le premier groupe parlementaire de gauche, réhabiliter l’extrême droite (qui aurait cessé, elle, d’être antisémite), justifier ainsi la mise à l’écart de la coalition qui comptait le plus grand nombre d’élus à l’issue d’élections législatives marquées par un fort taux de participation.
La violence de la charge contre LFI, combinée à l’absence d’éléments irrécusables permettant de la justifier, donne le vertige. « Que croit la bande de Mélenchon ?, s’exclame Philippe Val sur Europe 1 (2 septembre 2024), qu’on va regarder s’installer dans les ministères des antisémites et des copains d’antisémites comme les vaches regardent passer des trains !? » Pour déjouer ce péril, l’ancien directeur de Charlie Hebdo et de France Inter enjoint à « tout Français qui se respecte » de les « chasser des ministères de la République ». Puis il menace : « On peut leur promettre qu’ils vont vivre l’enfer parce qu’on ne les lâchera pas jusqu’à temps qu’ils partent ! »
(Lire la suite page 21.)
Sur la politique française, lire aussi en page 20 : « La France malade de ses institutions » par André Bellon
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