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OCTOBRE 2024 – L M diplomatique | 2 NOUVELLE L I V R A I S ON D E « MANIÈRE D E VO I R » « L’Amérique d’abord » ? T OUS les quatre ans, les citoyens américains se rendent aux urnes pour élire leur président et leur Congrès. Ce scrutin retient l’attention du monde entier car les États-Unis demeurent la plus grande puissance planétaire, et leurs péripéties électorales influent directement sur les grands dossiers internationaux, qu’ils soient géopolitiques, économiques ou culturels. Mais comment va l’empire au sortir de quatre années de présidence démocrate et d’une pandémie de coronavirus (Covid-19) particulièrement meurtrière (1,12 million de morts) ? Doit-il désormais composer avec l’essor de son rival chinois et l’émergence d’un « Sud global » dont les membres ne craignent plus de lui tenir tête ? En août 2021, le retrait soudain de ses troupes d’Afghanistan semait le doute quant à sa capacité d’imposer un diktat sous n’importe quelle latitude. Six mois plus tard, la Russie envahissait son voisin ukrainien et obligeait Washington à concentrer ses efforts et son aide militaire en faveur de Kiev. Ce conflit se poursuit et l’Amérique voit ses ambitions de renforcer son influence en Asie contrariées. Ailleurs, sa partialité pro-israélienne sape ses prétentions vertueuses à diriger un monde « fondé sur des règles ». VU Pratt/Agence : Gre ta ie Photo graph ÉTATS-UNIS L’empire fracturé Cet immobilisme a pour conséquence la persistance d’une violence multiforme qu’analyse la deuxième partie. Défense acharnée du droit à posséder une arme – revendication que l’on retrouve aussi chez nombre de démocrates –, persistance du racisme hérité de la période esclavagiste, brutalités policières rarement sanctionnées par la justice, dégâts sociaux importants provoqués par divers trafics et addictions : l’Amérique n’en finit pas de se confronter à des démons qu’elle semble avoir intériorisés. Doté d’un appareil cartographique important et de nombreux chiffres-clés, agrémenté par plusieurs œuvres iconographiques documentant, entre autres, les inégalités et les défis sociétaux de l’Amérique, le nouveau numéro de Manière de voir (1) ausculte un pays fracturé dont la vigueur économique cache mal les fêlures. Le premier chapitre décrit l’aggravation des divisions politiques, avec leur corollaire de discours de haine et de propagation d’un fort sentiment paranoïaque. Dans ce contexte, les idées socialistes se fraient diffi cilement un chemin au sein de la population, notamment au cœur de la jeunesse, mais la pesanteur des institutions, notamment celle de l’omniprésente Cour suprême, complique tout changement systémique. Mais, comme le rappelle la troisième partie, la volonté de diriger les affaires du monde n’en demeure pas moins une priorité stratégique pour Washington. La tâche risque pourtant d’être ardue car les défis sont nombreux et la tentation isolationniste, notamment dans le camp républicain, est susceptible de modifier la donne si M. Donald Trump était élu en novembre. Son retour à la Maison Blanche pourrait entraîner une baisse du soutien militaire américain à l’Ukraine – à charge pour l’Europe d’y suppléer. À bien des égards, ce scrutin sera décisif pour l’avenir des États-Unis, de la démocratie en Amérique. Et pour celui de la planète. (1) « États-Unis. L’empire fracturé », Manière de voir, no 197, octobre-novembre 2024, en kiosques, en librairies, dans l’application mobile et sur la boutique en ligne. COURRIER DES LECTEURS Guerre Réagissant au dossier « Proche-Orient, l’abîme » (septembre), M. Patrick Rion estime que l’un des acteurs majeurs des conflits qui ébranlent actuellement le monde (Gaza, Ukraine, Soudan, République démocratique du Congo, etc.) est trop souvent oublié : De nombreux motifs sont avancés pour expliquer les conflits qui se déroulent sous nos yeux. On avance ainsi l’élément religieux ou ethnique, mais on occulte souvent des mobiles bien plus mercantiles. Car les premiers responsables de ces conflits sont les fabricants et marchands de canons. Cette industrie de l’armement est à neutraliser, et ses profits et bénéfices devraient être réinjectés de toute urgence dans les politiques destinées à garantir une survie de l’humanité que nous appelons de nos vœux tout en la rendant toujours plus improbable. Cette industrie-là n’est-elle pas le pilier de notre croissance et de nos profits ? Les menaces qu’elle peut faire peser dans le reste du monde ne garantissent-elles pas nos privilèges et nos emplois ? Nous savons que cette industrie donne la mort, mais nous nous disons que cette dernière est lointaine. Conviction que le conflit ukrainien oblige pourtant à relativiser. Ta d j i k i s t a n Concernant l’article « La nation tadjike revisite le mythe aryen » de Judith Robert (septembre), M. Christian Canac regrette que l’héritage mongol n’ait pas été évoqué : La Horde mongole a créé un empire nomade qui a laissé de nombreuses traces de son règne pendant trois siècles sur l’immense territoire de l’Eurasie s’étendant de la Mongolie à la Hongrie contemporaines. Certes, la logique d’une administration nomade n’est pas de transmettre un patrimoine mémoriel en héritage, en dépit des installations de drainage et d’irrigation pour les cités qu’elle développa le long des fleuves. En revanche, il s’agissait d’un véritable État, qui soutenait le commerce à longue distance. Vers 1300-1330, le Tadjikistan se situait entre routes du Nord et du Sud des grands échanges mongols. Durant ces trois siècles d’ascension et d’expansion, la Horde s’est transformée en plusieurs régimes qui régnèrent sur l’Asie centrale et occidentale. Alors, au carrefour de la civilisation persane et du monde arabo-musulman, on peut se demander dans quelle mesure la Horde, qui contribua à la création de la Russie moderne, n’a pas aussi laissé un héritage identitaire au Tadjikistan. « Gauche conservatrice » M. Gauthier Delozière conteste l’analyse présentée dans l’article « Une nouvelle “gauche conservatrice” bouscule le jeu politique allemand » (septembre) de Pierre Rimbert et Peter Wahl : Votre ligne défend une vision fantasmée : les « pauvres petits Blancs ouvriers » qui seraient le « véritable prolétariat » oublié par la « gauche progressiste ». Si un débat se pose certes sur la manière de s’adresser à certaines franges des classes populaires, cette position me semble aller à l’encontre d’un ensemble de travaux au sein des sciences sociales. D’abord, vous faites preuve d’une « blanchité méthodologique » en portant une vision réif iée des classes populaires, en leur prêtant soit des positions réactionnaires qu’elles n’ont pas nécessairement, soit en excluant les personnes racisées. Vous occultez ainsi à la fois la prégnance des rapports de race au sein des sociétés occidentales, mais également les transformations structurelles des « classes populaires ». Au f inal, cette non-reconnaissance dans l’articulation de l’en- semble des rapports de domination (race, classe, genre) vous fait (une fois de plus, hélas) sombrer dans la défense de positions réactionnaires et (surtout) non radicales. Rassemblement national M. Axel Bublik estime que l’article « Nous y sommes » de Benoît Bréville, Serge Halimi et Pierre Rimbert (juillet) n’aborde pas les vraies raisons de l’essor électoral du Rassemblement national : Les flux migratoires et l’apparition sur notre territoire d’un islam radical ont permis au Rassemblement national (RN) d’en faire l’instrumentalisation. Mais qu’en est-il à gauche ? Quelle a été sa position et notamment sa réponse idéologique face à la violence religieuse qui a coûté tant de vies ? L’incapacité de la gauche à penser ces questions, la facilité avec laquelle certains mouvements d’extrême gauche ont favorisé les positions les plus radicales et ont totalement évacué les questions de fond (voile islamique, revendications communautaires, laïcité, droits et devoirs en société, équilibre des droits et libertés fondamentaux, etc.) au prof it d’une position purement idéaliste et dogmatique (être du côté des « opprimés » quoi qu’il en coûte) a largement contribué à décrédibiliser cette famille politique. L’abandon idéologique des sujets propres à la gauche – laïcité, universalisme, luttes sociales – et leur récupération par l’extrême droite en sont la preuve. Comment, sinon, expliquer le nombre de sympathisants RN à l’éducation nationale ou chez les ouvriers, bastions historiquement de gauche ? Vous souhaitez réagir à l’un de nos articles : Courrier des lecteurs, 1, av. Stephen-Pichon 75013 Paris ou courrier@monde-diplomatique.fr VALISE NON DIPLOMATIQUE Le site China Media Project documente l’émergence d’un nouveau mot-valise en Chine et la façon dont il éclaire la lecture que fait Pékin de la situation internationale (10 septembre 2024). Un mot-valise composé des termes chinois pour « États-Unis » (mĕi guó) et pour « Occident » (xī fāng) – mĕi xī fāng ou « Occident américain » – offre une nouvelle façon de parler de Washington et de ses alliés de façon péjorative. Le terme implique que les alliés de Washington manquent de libre arbitre et le suivent aveuglément – non pas par intérêt commun, mais par crainte de froisser les États-Unis. Le Journal du peuple présente « Occident américain » comme « un vocable illustrant l’une des grandes évolutions du siècle, passée inaperçue », et comme l’un des termes préférés [du président chinois] Xi Jinping pour parler de géopolitique. (…) Les occurrences du terme sur les sites du Parti communiste chinois (PCC) sont passées de 457 en 2014 à plus de 37 600 au cours des neuf premiers mois de 2024. FRISSONS Comment l’Indonésie est devenue le pays des films d’horreur (The Economist, 5 septembre). Le nombre de films d’épouvante indonésiens produits chaque année est passé de moins de cinq dans les années 1990 à plus de quarante à partir de 2018. Après un déclin passager pendant la pandémie de Covid-19, l’industrie a repris du poil de la bête : cinquante longs-métrages ont été produits en Indonésie en 2023. (…) En 2022, neuf des quinze films indonésiens les plus vus étaient des films d’horreur. (…) La production cinématographique a failli s’éteindre dans les années 1990 en raison d’une récession, mais elle est revenue dans les années 2000. Une nouvelle génération de cinéastes est apparue, en partie inspirée par les films d’horreur japonais et thaïlandais. L’essor du streaming depuis une dizaine d’années a également contribué à l’avènement de cette nouvelle ère. Selon David Gregory, de Severin Films, une société de distribution américaine, les amateurs d’horreur trop habitués aux tropes habituels et aux thèmes chrétiens des films occidentaux apprécient les motifs alternatifs et les intrigues fondées sur l’islam de l’Indonésie. STUPEUR ET TREMBLEMENT Deux journalistes du New York Times (3 septembre 2024) rapportent une découverte stupéfiante : les milieux libéraux cultivés gobent et propagent eux aussi des fausses informations. Pendant des années, le débat sur la désinformation en ligne s’est focalisé sur les fausses informations circulant au sein de la droite américaine. Mais, ces dernières semaines, une vague de théories complotistes et de fausses histoires a déferlé à gauche. Certains chercheurs en désinformation craignent que cette nouvelle vague conspirationniste de gauche ne polarise davantage le discours politique avant les élections de novembre. Selon un sondage réalisé en juillet par Morning Consult, plus d’un tiers des partisans du président [Joseph] Biden pensent que la tentative d’assassinat de [Donald] Trump a pu être mise en scène. (…) Divers critiques et observatoires du journalisme ont étrillé des articles en ligne démystifiant les fake news de gauche au motif que le processus traditionnel de vérification des faits n’était pas adapté à la lutte contre les mensonges progressistes. (…) Snopes, le site Web de vérification des faits, s’est habitué à recevoir des messages réprobateurs lorsqu’il s’attaque à la désinformation de droite. Mais, depuis le début de la guerre à Gaza – et tout au long de la campagne présidentielle de cette année –, le site s’est retrouvé sur la sellette pour avoir vérifié et contredit des mensonges de gauche, selon Doreen Marchionni, directrice de la rédaction. Informez-vous, abonnez-vous ... et contribuez à l’indépendance du Monde diplomatique 1 AN - 12 NUMÉROS POUR 79 € INCLUS DANS VOTRE ABONNEMENT Le Monde diplomatique chaque mois en version papier  L’accès aux versions numériques et à l’application mobile  L’intégralité des archives du Monde diplomatique depuis 1954  Les articles en version audio  Les Atlas du Monde diplomatique en version numérique Offre réservée aux particuliers jusqu’au 31/05/2025 pour un premier abonnement en France métropolitaine. Entreprises et étranger : nous consulter. 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3  |  LE MONDE diplomatique  –  OCTOBRE 2024 Développement personel et marketing de l’âme Où est passé l’inconscient ? Une force étrangère à notre raison qui intervient dans nos choix, nos pensées, nos corps : l’inconscient selon Sigmund Freud portait la révolution dans notre représentation de l’humain, et le soupçon sur les normes communes. Leur perception et plus largement le « bon sens » s’en sont trouvés modifiés. Aujourd’hui, la célébration d’un ego « transparent » par les entrepreneurs en hygiène mentale signe un retour en arrière. Par Evelyne Pieiller Pour neutraliser une idée qui risque de semer le doute sur les valeurs justifiant le système en place, il n’est nul besoin, dans nos démocraties, de l’interdire – on est pour la liberté… Il suffit de la dévoyer, de la per- vertir, de l’évider. C’est discret et élégant, et de surcroît bien accueilli, puisqu’il ne s’agit pas de se montrer réactionnaire en attaquant une découverte mais au contraire de s’afficher progressiste en la populari- sant ; enfin, discrète merveille, c’est ren- table. C’est là ce qui s’est remarquablement produit avec la notion d’inconscient. intérieur, la perception d’une force hors de contrôle. Ce que développe avec courage, comme en écho au « Je est un autre » d’Arthur Rimbaud, Friedrich Nietzsche, dans Par-delà le bien et le mal (1881) : « Une pensée ne vient que quand elle veut, et non pas quand moi je la veux, de sorte que c’est une altération des faits de prétendre que le sujet “moi” est la condition de l’attribut “je pense”. Quelque chose pense, mais croire que ce quelque chose est l’antique et fameux moi, c’est une pure supposition. » Quand les écrits de Sigmund Freud et de ses disciples vinrent affirmer que ce mystérieux concentré de nos tréfonds était un acteur de nos vies, ce fut un bouleversement du regard porté sur les troubles psychiques, et une révolution dans la représentation du monde. Car qu’en était-il alors de notre libre arbitre ? Qu’en était-il de notre responsabilité ? Quel rôle attribuer à la reine de nos facultés, la raison, et à cette capacité si précieuse, que doit encourager une saine discipline, la volonté ? Que devenait la singularité humaine si l’individu était « agi » par des forces qu’il ignorait ? Bien sûr, on savait depuis toujours qu’on n’était pas totalement maître en notre demeure. Rêves, lapsus, associations intempestives d’idées, pathologies physiques incompréhensibles, passions orageuses : au fil des siècles s’étaient élaborées, outre les interprétations médicales, des versions diverses de ces manifestations incontrôlables, en particulier chez les philosophes et les poètes. Le mal obscur au cœur du descendant d’Adam – désirs involontaires et irrésistibles – fut longtemps une explication – « Mon Dieu, quelle guerre cruelle ! Je trouve deux hommes en moi », comme l’écrivait Jean Racine dans ses Cantiques spirituels (1694). Plus tard, c’est sur un autre plan que se traduira le sentiment d’exil Vingt ans plus tard, Freud prolonge. Et élargit. Il redéfinit l’inconscient non seulement comme ce qu’on ne sait plus et ce qu’on ne sait pas, mais aussi comme ce qui travaille le corps et « informe » le conscient sans qu’on le sache. En d’autres termes, il « décentre » l’humain, tel qu’on se le représentait communément (ce n’est plus le « moi » qui, malgré tout, gouverne, le reste relevant largement du pathologique et devant rester à la marge), et propose une lecture de nos désordres, de nos choix, de nos aptitudes même, bouleversante : un déchiffrement soupçonneux de ce qu’on croit être notre vérité, une toute nouvelle façon d’accéder à une libération des illusions. Les effets furent considérables. Freud en parlera comme de la troisième blessure narcissique de l’humanité, après le choc de la révolution copernicienne-galiléenne (non, ce n’est pas le Soleil qui tourne autour de la Terre…) et le séisme de la théorie darwinienne de l’évolution (non, l’humain n’est pas une créature unique, à part des espèces animales). Il avait raison. Mais, quand il pensait, à l’occasion de conférences qu’il s’apprêtait à faire aux ÉtatsUnis en 1909, leur « apporter la peste », il s’est trompé. L’inconscient s’est rabougri. La peste s’est transformée en soins de beauté – intérieure. Un magnifique tour de passe-passe Jadis, les essais des psychanalystes trouvaient place chez des éditeurs géné- ralistes, et Françoise Dolto fut même une star sur France Inter, avec son émission « Lorsque l’enfant paraît » en 1976-1977. On était encore dans le sillage d’une cer- taine effervescence intellectuelle, celle des années 1960, qui avait vu fleurir les col- lections de sciences humaines et rendu célèbres des penseurs peu portés sur la vul- garisation comme Michel Foucault, Gilles Deleuze ou Pierre Bourdieu. C’était un temps où l’avenir était pluriel et sollicitait l’imaginaire. L’idée de révolution, y com- pris conceptuelle, ne semblait pas périmée. Transformer le monde, changer la vie… Cette époque suscite la nostalgie – on n’en finit pas d’en recycler les modes, les musiques, les icônes –, mais comme sou- vent, il s’agit d’une nostalgie inoffensive, car les enjeux animant ce qui est regretté ne sont guère ranimés… – découvertes des neurosciences cognitives, tandis que rayonnaient l’influence du manuel de psychiatrie américain (le célèbre DSM, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) et la combativité de l’industrie pharmaceutique. On n’a pas eu besoin d’effacer sa découverte, on lui a réglé son compte. Ratatiné. Il faut dire que la plupart de ces éléments nouveaux allaient dans le même sens : celui d’une dissolution de sa puissance de descellement des certitudes. L’action inverse de celle qu’exerce son opposé, très en forme aujourd’hui, l’ego « transparent ». C’est ce qui apparaît de façon éclatante avec l’usage actuel de l’« inconscient ». On l’a longtemps borné, et c’est une façon efficace de chercher à l’encadrer, à son usage psychothérapeutique, version « misère sexuelle » : comme, depuis le slogan de 1968 qui ordonnait de « jouir sans entraves », les « tabous » censés être la quintessence de l’inconscient, doublés par le refoulement, n’en finissent pas d’être surmontés, il a commencé à être vidé de son sens ravageur. Ce qui n’a pas empêché les attaques de se renouveler. À droite, à gauche, contre la psychanalyse, théorie et pratique, contre Freud, au nom de la science On est donc passé aux choses sérieuses. C’est-à-dire au retour du « bon sens », cette construction idéologique qui se donne pour la bonne vieille vérité. Nos remuements opaques sont traités avec bienveillance et mis aux normes – notamment par des philosophes ou apparentés, qui se chargent de traiter des complications du mental. Comme dit Christophe André, psychiatre qui a endossé le rôle de modeste maître de sagesse et vidéaste à succès sur YouTube : « L’inconscient ? Je ne suis ni pour ni contre, bien au contraire », mais il faut bien reconnaître que « les rêves, les actes manqués, etc., peuvent provenir de ratés dans le traitement et le stockage » des informations que nous recevons de notre environnement. Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’il y ait « plusieurs inconscients » (1). Là, évidemment, la notion n’est plus exactement la même… Autant donc la diluer en subconscient, et pourquoi pas en inutile empêchement à être soi : magnifique , 2024 IS ADAGP, PAR © .COM -GAUBE .MA , WWW GAUBE ITA IE-AN MAR © Le philosophe Charles Pépin est un autre représentant des professeurs d’apaisement intime, de lucidité conquise sur les obstacles multiples à l’accomplissement. Dans « La question philo », son émission hebdomadaire sur France Inter, il donne des clés. « Pour vivre, vous devez être vous-même. Vous devez écouter, dit Bergson, la note qui est la vôtre, la mélodie intérieure de votre subjectivité. Mais comment faire pour savoir quelle est cette mélodie personnelle ? (…) Il faut se tourner vers le passé, et chercher quand on l’a entendue » (11 septembre 2023). Vous le saurez, en toute limpidité. Instant de révélation. Votre vraie identité, là. Nue. Mieux encore : du côté du passé, rien n’est jamais joué. « Il ne faut pas simplement accepter certaines choses du passé car elles ont eu lieu. On peut intervenir dessus. » Une scène d’enfance qui a induit un complexe quelconque ? Il faut la rejouer – littéralement – autrement, et l’« enfant intérieur » s’en trouve « réparé » (5). Cela postule notamment qu’on sait clairement ce qui fait souffrir, tout comme on sait repérer qui on est. Pas besoin de l’inconscient et de son trafic mettant en scène des illusions qu’on pense des vérités. Il suffit de se pencher sur soi. Et, au prix d’un effort soutenu, on se connaît soimême, on se réalise, on se purifie de ses errements porteurs d’échec, on devient ce qu’on doit être, transparent à soi, prêt à être opérationnel. L’accomplissement ne passe pas toujours par un management à aussi haute valeur ajoutée que la spiritualité ou la philosophie, étayées par les dernières découvertes sur le cerveau. Il est parfois plus franc, et destiné à permettre la réussite : il peut alors s’appuyer sur les diverses techniques de mesure de soi (le quantified self) (6). Mais l’objectif est le même : l’ego heureux dans sa transparence harmonieuse, les penchants négatifs identifiés et défaits. Il suffit de vouloir. Car quand on veut, on peut. Retour à la case départ. L’inconscient ? Rien qui ne puisse se mater. MARIE-ANITA GAUBE. – « Dialogue nocturne », 2013 tour de passe-passe. Il ne s’agit plus de saisir ce qui nous déborde, mais d’aménager notre bien-être. Simple. Il faut donc par exemple « considérer la dépression comme un squatteur, ce qu’elle est d’ailleurs (elle s’est installée sans votre accord), et lui désobéir : “Je ne suis pas en dépression. Ses intérêts ne sont pas les miens” (2) ». Un peu de volonté, d’effort sur soi, et ça ira, c’est connu. D’ailleurs : « Toutes les blessures (…) sont liées au manque d’amour ou amplifiées par lui. (…) Leurs guérisons seront liées à toutes les formes et toutes les expressions de la compassion. C’est aussi simple que ça (3). » Simple – on ne s’en lasse pas : « Mieux vaut accepter d’abord ce qui cause ma colère ou ma tristesse et garder mon énergie pour des actions plus importantes que la plainte ou l’agacement (4). » Et qu’est-ce qui est plus important ? Le bonheur. La paix intérieure. L’épanouissement personnel. Christophe André est le héraut de la « psychologie positive » : un ensemble de « démarches destiné à nous aider à mieux affronter l’adversité », appuyé bien évidemment sur « des données issues de la recherche » (La Vie, 1er mai 2021). Il a mis à la mode une technique de « méditation de pleine conscience » qui permet de « désapprendre à être dépendant des sources d’angoisse » (France Inter, 6 mai 2023). On plie, mais ne rompt pas. On ne cherche plus à changer le monde, ne serait-ce qu’intérieur, on lui est supérieur, par la grâce d’une discipline spirituelle. On lui est supérieur, en accueillant les imperfections, avec « compassion » envers soi, et en s’adaptant à ce qu’on est – et à ce qui est. Merveilleuse conformité avec l’idéologie bourgeoise. On ne se rebelle pas, on apprend la tolérance. L’histoire particulière n’a pas d’importance, on est tous semblables, au fond du fond, puissants ou misérables, tous tributaires des mêmes petites misères – tous humains, tous égaux, puisque tous faillibles, et tous susceptibles de dépasser en douceur nos conflits. Sans surprise excessive, le succès est au rendez-vous : la difficulté d’être n’est pas précisément en voie de disparition, les guides pour mettre entre parenthèses les symptômes en dédaignant les causes se positionnent sur un créneau porteur. Outre ses livres, vidéos et conférences, Christophe André organise ainsi des séances de méditation. Y compris pour les parlementaires. Ce qui, soit dit en passant dans Philosophie Magazine (10 janvier 2018), « attire d’abord les centristes », mais pas seulement : « Les députés LREM [La République en marche] m’ont paru très réceptifs » – aux vertus de l’adaptation au monde tel qu’il est, peut-être ? Le sujet au carrefour de deux aliénations Baruch Spinoza autrefois soulignait, dans L’Éthique : « Ce n’est pas parce qu’une chose est bonne que nous la dési- rons, c’est parce que nous la désirons que nous la jugeons bonne. » Non, le juge- ment de valeur n’est pas toujours fondé en pure raison. On sait, à tout le moins depuis Étienne de la Boétie, que certains embrassent avec enthousiasme une ser- vitude volontaire. « Librement ». Sur le plan individuel comme sur le plan collec- tif. Comme le rappellent Félix Guattari et Gilles Deleuze dans ­L’Anti-Œdipe, on peut s’étonner que « les affamés ne volent pas toujours » et que « les exploités ne fassent pas toujours grève » ; on peut s’étonner que des populations adhèrent à des doc- trines meurtrières en toute conscience, et désirent les voir triompher. Qu’est-ce qui nourrit ces « choix » ? Qu’est-ce qui fait rechercher la poigne d’un leader ? mieux encore, l’âme. Le sujet est au carrefour de deux aliénations, intime et collective. Les entrepreneurs d’hygiène de la réussite personnelle contribuent à les occulter toutes deux, et œuvrent pour la mystification d’une self-liberation qui glorifie, in fine, la résignation. Ne changez pas le monde, ni celui du dehors, ni celui du dedans, changez la perception que vous en avez ! Le contraire, sous couvert de libération plus ou moins stoïcienne, de l’émancipation. Servitude volontaire, souriante, récompensée par une estime de soi délicieusement renforcée. Ce qui, ma foi, le temps que ça dure, peut toujours servir, dans un monde mené par l’esprit de compétition, et le bon usage de la soumission éclairée. Ce fut l’objet de la réflexion de ce qu’on appela le freudo-marxisme, avec en particulier le psychanalyste et communiste Wilhelm Reich, qui liait le subjectif et le social, et affirmait ainsi que le fascisme avait rencontré le désir des masses (7). Le freudo-marxisme fut largement attaqué, à droite et à gauche ; il met néanmoins en lumière un point fondamental : l’inconscient trouve de quoi se soutenir dans l’idéologie, et vice versa – quant aux valeurs et codes propagés par l’idéologie, ils n’ont rien de transparent, même s’ils se présentent comme « naturels ». Illusion suprême. Tout comme la supposée « vérité » de ce qu’on appellera alors l’identité ou, (1) Entretien, www.psychologies.com, 14 avril 2009. (2) Christophe André, Mon programme contre la dépression, L’Iconoclaste, Paris, 2018. (3) Christophe André, Les États d’âme. Un apprentissage de la sérénité, Odile Jacob, Paris, 2009. (4) Christophe André, Imparfaits, libres et ­heureux. Pratique de l’estime de soi, Odile Jacob, 2015 (1re éd. : 2006). (5) Entretien entre Charles Pépin et Isabelle Spaak, Madame Figaro, Paris, 4 septembre 2023, à propos du livre de Charles Pépin Vivre avec son passé (Allary Éditions, Paris, 2023). Chez le même éditeur : La Confiance en soi (2021), Les Vertus de l’échec (2018), La Joie (2016). (6) Cf. le très instructif ouvrage de Thierry Jobard Crise de soi. Construire son identité à l’ère des réseaux sociaux et du développement personnel, 10/18, Paris, 2024. (7) Cf. Wilhelm Reich, La Psychologie de masse du fascisme, Payot, Paris, 1998.

OCTOBRE 2024 – L M diplomatique | 2

NOUVELLE L I V R A I S ON D E « MANIÈRE D E VO I R »

« L’Amérique d’abord » ? T

OUS les quatre ans, les citoyens américains se rendent aux urnes pour élire leur président et leur Congrès. Ce scrutin retient l’attention du monde entier car les États-Unis demeurent la plus grande puissance planétaire, et leurs péripéties électorales influent directement sur les grands dossiers internationaux, qu’ils soient géopolitiques, économiques ou culturels. Mais comment va l’empire au sortir de quatre années de présidence démocrate et d’une pandémie de coronavirus (Covid-19) particulièrement meurtrière (1,12 million de morts) ? Doit-il désormais composer avec l’essor de son rival chinois et l’émergence d’un « Sud global » dont les membres ne craignent plus de lui tenir tête ? En août 2021, le retrait soudain de ses troupes d’Afghanistan semait le doute quant à sa capacité d’imposer un diktat sous n’importe quelle latitude. Six mois plus tard, la Russie envahissait son voisin ukrainien et obligeait Washington à concentrer ses efforts et son aide militaire en faveur de Kiev. Ce conflit se poursuit et l’Amérique voit ses ambitions de renforcer son influence en Asie contrariées. Ailleurs, sa partialité pro-israélienne sape ses prétentions vertueuses à diriger un monde « fondé sur des règles ».

VU

Pratt/Agence

: Gre ta ie

Photo graph

ÉTATS-UNIS

L’empire fracturé

Cet immobilisme a pour conséquence la persistance d’une violence multiforme qu’analyse la deuxième partie. Défense acharnée du droit à posséder une arme – revendication que l’on retrouve aussi chez nombre de démocrates –, persistance du racisme hérité de la période esclavagiste, brutalités policières rarement sanctionnées par la justice, dégâts sociaux importants provoqués par divers trafics et addictions : l’Amérique n’en finit pas de se confronter à des démons qu’elle semble avoir intériorisés.

Doté d’un appareil cartographique important et de nombreux chiffres-clés, agrémenté par plusieurs œuvres iconographiques documentant, entre autres, les inégalités et les défis sociétaux de l’Amérique, le nouveau numéro de Manière de voir (1) ausculte un pays fracturé dont la vigueur économique cache mal les fêlures. Le premier chapitre décrit l’aggravation des divisions politiques, avec leur corollaire de discours de haine et de propagation d’un fort sentiment paranoïaque. Dans ce contexte, les idées socialistes se fraient diffi cilement un chemin au sein de la population, notamment au cœur de la jeunesse, mais la pesanteur des institutions, notamment celle de l’omniprésente Cour suprême, complique tout changement systémique.

Mais, comme le rappelle la troisième partie, la volonté de diriger les affaires du monde n’en demeure pas moins une priorité stratégique pour Washington. La tâche risque pourtant d’être ardue car les défis sont nombreux et la tentation isolationniste, notamment dans le camp républicain, est susceptible de modifier la donne si M. Donald Trump était élu en novembre. Son retour à la Maison Blanche pourrait entraîner une baisse du soutien militaire américain à l’Ukraine – à charge pour l’Europe d’y suppléer. À bien des égards, ce scrutin sera décisif pour l’avenir des États-Unis, de la démocratie en Amérique. Et pour celui de la planète.

(1) « États-Unis. L’empire fracturé », Manière de voir, no 197, octobre-novembre 2024, en kiosques, en librairies, dans l’application mobile et sur la boutique en ligne.

COURRIER DES LECTEURS

Guerre Réagissant au dossier « Proche-Orient, l’abîme » (septembre), M. Patrick Rion estime que l’un des acteurs majeurs des conflits qui ébranlent actuellement le monde (Gaza, Ukraine, Soudan, République démocratique du Congo, etc.) est trop souvent oublié :

De nombreux motifs sont avancés pour expliquer les conflits qui se déroulent sous nos yeux. On avance ainsi l’élément religieux ou ethnique, mais on occulte souvent des mobiles bien plus mercantiles. Car les premiers responsables de ces conflits sont les fabricants et marchands de canons. Cette industrie de l’armement est à neutraliser, et ses profits et bénéfices devraient être réinjectés de toute urgence dans les politiques destinées à garantir une survie de l’humanité que nous appelons de nos vœux tout en la rendant toujours plus improbable. Cette industrie-là n’est-elle pas le pilier de notre croissance et de nos profits ? Les menaces qu’elle peut faire peser dans le reste du monde ne garantissent-elles pas nos privilèges et nos emplois ? Nous savons que cette industrie donne la mort, mais nous nous disons que cette dernière est lointaine. Conviction que le conflit ukrainien oblige pourtant à relativiser.

Ta d j i k i s t a n Concernant l’article « La nation tadjike revisite le mythe aryen » de Judith Robert (septembre), M. Christian Canac regrette que l’héritage mongol n’ait pas été évoqué :

La Horde mongole a créé un empire nomade qui a laissé de nombreuses traces de son règne pendant trois siècles sur l’immense territoire de l’Eurasie s’étendant de la Mongolie à la Hongrie contemporaines. Certes, la logique d’une administration nomade n’est pas de transmettre un patrimoine mémoriel en héritage, en dépit des installations de drainage et d’irrigation pour les cités qu’elle développa le long des fleuves. En revanche, il s’agissait d’un véritable État, qui soutenait le commerce à longue distance. Vers 1300-1330, le Tadjikistan se situait entre routes du Nord et du Sud des grands échanges mongols. Durant ces trois siècles d’ascension et d’expansion, la Horde s’est transformée en plusieurs régimes qui régnèrent sur l’Asie centrale et occidentale. Alors, au carrefour de la civilisation persane et du monde arabo-musulman, on peut se demander dans quelle mesure la Horde, qui contribua à la création de la Russie moderne, n’a pas aussi laissé un héritage identitaire au Tadjikistan.

« Gauche conservatrice » M. Gauthier Delozière conteste l’analyse présentée dans l’article « Une nouvelle “gauche conservatrice” bouscule le jeu politique allemand » (septembre) de Pierre Rimbert et Peter Wahl :

Votre ligne défend une vision fantasmée : les « pauvres petits Blancs ouvriers » qui seraient le « véritable prolétariat » oublié par la « gauche progressiste ». Si un débat se pose certes sur la manière de s’adresser à certaines franges des classes populaires, cette position me semble aller à l’encontre d’un ensemble de travaux au sein des sciences sociales. D’abord, vous faites preuve d’une « blanchité méthodologique » en portant une vision réif iée des classes populaires, en leur prêtant soit des positions réactionnaires qu’elles n’ont pas nécessairement, soit en excluant les personnes racisées. Vous occultez ainsi à la fois la prégnance des rapports de race au sein des sociétés occidentales, mais également les transformations structurelles des « classes populaires ». Au f inal, cette non-reconnaissance dans l’articulation de l’en-

semble des rapports de domination (race, classe, genre) vous fait (une fois de plus, hélas) sombrer dans la défense de positions réactionnaires et (surtout) non radicales.

Rassemblement national M. Axel Bublik estime que l’article « Nous y sommes » de Benoît Bréville, Serge Halimi et Pierre Rimbert (juillet) n’aborde pas les vraies raisons de l’essor électoral du Rassemblement national :

Les flux migratoires et l’apparition sur notre territoire d’un islam radical ont permis au Rassemblement national (RN) d’en faire l’instrumentalisation. Mais qu’en est-il à gauche ? Quelle a été sa position et notamment sa réponse idéologique face à la violence religieuse qui a coûté tant de vies ? L’incapacité de la gauche à penser ces questions, la facilité avec laquelle certains mouvements d’extrême gauche ont favorisé les positions les plus radicales et ont totalement évacué les questions de fond (voile islamique, revendications communautaires, laïcité, droits et devoirs en société, équilibre des droits et libertés fondamentaux, etc.) au prof it d’une position purement idéaliste et dogmatique (être du côté des « opprimés » quoi qu’il en coûte) a largement contribué à décrédibiliser cette famille politique. L’abandon idéologique des sujets propres à la gauche – laïcité, universalisme, luttes sociales – et leur récupération par l’extrême droite en sont la preuve. Comment, sinon, expliquer le nombre de sympathisants RN à l’éducation nationale ou chez les ouvriers, bastions historiquement de gauche ?

Vous souhaitez réagir à l’un de nos articles : Courrier des lecteurs, 1, av. Stephen-Pichon 75013 Paris ou courrier@monde-diplomatique.fr

VALISE NON DIPLOMATIQUE

Le site China Media Project documente l’émergence d’un nouveau mot-valise en Chine et la façon dont il éclaire la lecture que fait Pékin de la situation internationale (10 septembre 2024). Un mot-valise composé des termes chinois pour « États-Unis » (mĕi guó) et pour « Occident » (xī fāng) – mĕi xī fāng ou « Occident américain » – offre une nouvelle façon de parler de Washington et de ses alliés de façon péjorative. Le terme implique que les alliés de Washington manquent de libre arbitre et le suivent aveuglément – non pas par intérêt commun, mais par crainte de froisser les États-Unis. Le Journal du peuple présente « Occident américain » comme « un vocable illustrant l’une des grandes évolutions du siècle, passée inaperçue », et comme l’un des termes préférés [du président chinois] Xi Jinping pour parler de géopolitique. (…) Les occurrences du terme sur les sites du Parti communiste chinois (PCC) sont passées de 457 en 2014 à plus de 37 600 au cours des neuf premiers mois de 2024.

FRISSONS Comment l’Indonésie est devenue le pays des films d’horreur (The Economist, 5 septembre).

Le nombre de films d’épouvante indonésiens produits chaque année est passé de moins de cinq dans les années 1990 à plus de quarante à partir de 2018. Après un déclin passager pendant la pandémie de Covid-19, l’industrie a repris du poil de la bête : cinquante longs-métrages ont été produits en Indonésie en 2023. (…) En 2022, neuf des quinze films indonésiens les plus vus étaient des films d’horreur. (…) La production cinématographique a failli s’éteindre dans les années 1990 en raison d’une récession, mais elle est revenue dans les années 2000. Une nouvelle génération de cinéastes est apparue, en partie inspirée par les films d’horreur japonais et thaïlandais. L’essor du streaming depuis une dizaine d’années a également contribué à l’avènement de cette nouvelle ère. Selon David Gregory, de Severin Films, une société de distribution américaine, les amateurs d’horreur trop habitués aux tropes habituels et aux thèmes chrétiens des films occidentaux apprécient les motifs alternatifs et les intrigues fondées sur l’islam de l’Indonésie.

STUPEUR ET TREMBLEMENT Deux journalistes du New York Times (3 septembre 2024) rapportent une découverte stupéfiante : les milieux libéraux cultivés gobent et propagent eux aussi des fausses informations.

Pendant des années, le débat sur la désinformation en ligne s’est focalisé sur les fausses informations circulant au sein de la droite américaine. Mais, ces dernières semaines, une vague de théories complotistes et de fausses histoires a déferlé à gauche. Certains chercheurs en désinformation craignent que cette nouvelle vague conspirationniste de gauche ne polarise davantage le discours politique avant les élections de novembre. Selon un sondage réalisé en juillet par Morning Consult, plus d’un tiers des partisans du président [Joseph] Biden pensent que la tentative d’assassinat de [Donald] Trump a pu être mise en scène. (…) Divers critiques et observatoires du journalisme ont étrillé des articles en ligne démystifiant les fake news de gauche au motif que le processus traditionnel de vérification des faits n’était pas adapté à la lutte contre les mensonges progressistes. (…) Snopes, le site Web de vérification des faits, s’est habitué à recevoir des messages réprobateurs lorsqu’il s’attaque à la désinformation de droite. Mais, depuis le début de la guerre à Gaza – et tout au long de la campagne présidentielle de cette année –, le site s’est retrouvé sur la sellette pour avoir vérifié et contredit des mensonges de gauche, selon Doreen Marchionni, directrice de la rédaction.

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