I Et si elles s’arrêtaient toutes ? Par Hélène Richard I l y a sept ans, lors de la première présidence de M. Donald Trump, commençait le mouvement #MeToo. Une enquête du New York Times révélait les accusations portées par des dizaines d’actrices à l’encontre du producteur de cinéma américain Harvey Weinstein, ce qui lui vaudra, en 2020, une première condamnation à vingt-trois années de prison. Dans le si l lage de cet te affaire, d’autres pays et d’autres secteurs professionnels sont gagnés par une vague de dénonciations des violences sexuelles. L’onde de choc continue aujourd’hui de se faire ressentir. En France, le procès des « viols de Mazan » en constitue à la fois le dernier développement et l’approfondissement. Loin de l’image que l’on se fait des agresseurs, les profi ls les plus divers des accusés, parmi lesquels fig ure le mari, braquent le projecteur sur la banalité du viol.
C’est donc depuis les studios de Hollywood et les rédactions américaines que cet te nouvelle vague féministe se serait propagée au reste du monde et à tous les étages de la société ? L’h istoi re de la dernière décennie pourrait être racontée autrement. Pourquoi, par exemple, ne pas situer son point de départ au
Les aspirations exprimées par les femmes lorsqu’elles prennent la rue ont tendance à déborder le périmètre dans lequel on voudrait les enfermer
3 ju in 2015 ? Ce jour-là, trois cent mille Argentines défi lèrent sous les fenêtres du palais présidentiel à la suite de féminicides particulièrement sordides. Cette manifestation lança un cycle de mobilisations dans les pays d’Amérique lat ine ainsi qu’en Europe. Les Argentines établirent des l iens avec les Polonaises, qui organisèrent en 2016 une grève largement suivie. Avant la
France, l’Espagne a connu en avril 2018 son grand procès – celui dit des viols de la « meute ». La clémence des juges poussa des dizaines de milliers de manifestantes à battre le pavé, quelques semaines seulement après le débrayage de quatre millions d’Espagnoles, le 8 mars. Quatre ans plus tard, les I raniennes furent aux avantpostes d’une révolte d’abord dirigée contre la police de la moralité, avant d’étendre leurs revendications pol it iques et sociales.
Les aspirations exprimées par les femmes lorsqu’elles prennent la rue ont tendance à déborder le périmètre dans lequel on voudrait les enfermer. Les grandes entreprises vendent à l’i nverse le féminisme à la découpe. Dès le début de #MeToo, en 2017, Dior a commercialisé un tee-shirt « We should al l be feminists », encourageant les femmes à une a ffi rmation de soi toute compatible avec la consommation. « Parce que je le vaux bien », ce slogan inventé des décennies plus tôt par la marque L’Oréal, dessinait déjà les contours d’un féminisme qui s’i ntéresse essentiellement au sommet de la pyramide, en recyclant la vieille idée méritocratique. Mais l’a ffaire se corse lorsqu’il s’agit de remédier au hold-up consistant à rémunérer le moins possible ces travailleuses qui assument les tâches les plus indispensables, comme s’occuper des « improductifs » (en fants, personnes âgées et handicapées).
Malgré les mobilisations de ces dernières années, la pandémie de Covid-19 a i l lustré combien nos sociétés persistaient à fonctionner inéquitablement. Pire, el le a marqué un bond en arrière, démontrant que les acquis engrangés récemment demeuraient fragiles. Surreprésentées dans cer tains secteurs de « première l igne » – aides à domicile, aides-soignantes, in fi rmières, enseignantes –, les femmes ont aussi plus souvent été obligées de réduire leur temps de travail rémunéré. Privés d’école presque partout dans le monde, leurs enfants ont exigé d’el les en moyenne
4 //// MANIÈRE DE VOIR //// Éditorial