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VIOLENCE ET MORT AU TRAVAIL – pages 6 et 7
Le monde a sacrifié la Palestine par Alain Gresh – page 10
Guerre,argent et vidéo par Tony Fortin – page 27
diplomatique
MONDE
M ONDE diplomatique diplomatique
Juillet 2007 - 54 e année - N o 640
Publication mensuelle - 1, avenue Stephen-Pichon, 75013 Paris - www.monde-diplomatique.fr
28 pages - 4,50 €
Kosovo
GALERIE PASCAL POLAR, BRUXELLES
MANUEL GEERINCK.– Sans titre (2003)
NONRÉGLÉEDEPUISHUITANS ,l’épineuse question du Kosovo s’installe de nouveau au cœur de la politique internationale. Le président des Etats-Unis, M. George W.Bush,a alarmé les chancelleries en déclarant,grisé sans doute par un accueil triomphal à Tirana (Albanie) le 10 juin,qu’il fallait savoir dire «assez!» quand des négociations se prolongeaient trop. Selon lui, le Kosovo doit bientôt déclarer unilatéralement son indépendance, que Washington reconnaîtra sans attendre le verdict du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU)(1).
On se demande pour quelles raisons, en Palestine, cinquante ans n’ont pas suffi pour créer un Etat indépendant (avec les tragiques conséquences que l’on sait), et pourquoi,en revanche,il faudrait régler l’affaire du Kosovo au plus vite.
Dans les Balkans, précipitation diplomatique est parfois synonyme de catastrophe. On se souvient combien la hâte de l’Allemagne et du Vatican à reconnaître,en 1991,la sécession de la Croatie favorisa la dislocation de l’ex-Yougoslavie et le déclenchement de la guerre serbo-croate,suivie par la guerre de Bosnie.Sans minimiser le rôle néfaste de l’ancien président Slobodan Milosevic et des extrémistes partisans de la «Grande Serbie», il faut admettre que des puissances européennes portent une responsabilité dans ces affrontements, les plus meurtriers sur le Vieux Continent depuis la seconde guerre mondiale.La précipitation favorisa aussi la guerre du Kosovo en 1999,quand des Etats européens et les Etats-Unis refusèrent de poursuivre les négociations avec Belgrade(2),décidèrent d’éviter le débat au sein du Conseil de sécurité,puis,sans mandat de l’ONU,usèrent de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) pour bombarder pendant plusieurs mois la Serbie et contraindre ses forces à quitter le Kosovo.
La résolution 1244 de l’ONU mit fin, en juin 1999, à cette offensive, et plaça le Kosovo sous administration des Nations unies, tandis que des unités de l’OTAN–la Force de maintien de la paix au Kosovo (KFOR),forte de dix-sept mille hommes – en garantirent désormais la défense. Cette résolution 1244 reconnaît l’appartenance du Kosovo à la Serbie. Ce qui est décisif, car le principe adopté par les puissances impliquées dans les récentes guerres des Balkans a toujours été de respecter les frontières intérieures de l’ancienne République socialiste fédérale de Yougoslavie.Au nom de ce principe furent refusés et combattus précisément les projets de «Grande Croatie» et de «Grande Serbie» qui menaçaient de démanteler la Bosnie-Herzégovine.Et c’est sur ce principe que s’appuie aujourd’hui la Serbie,soutenue entre autres par la Russie,pour refuser le plan proposé par le médiateur international Martti Ahtisaari.
L’indépendance sera peut-être la solution inévitable pour le Kosovo, tant sont énormes les obstacles à son maintien dans le cadre administratif de la Serbie. Mais ce chemin ne saurait être envisagé qu’en concertation étroite et prolongée avec Belgrade, soucieux par ailleurs de la protection de la minorité serbe demeurée sur place. UNE INDÉPENDANCE précipitée, comme la réclame le président Bush, non négociée dans le cadre de l’ONU, pourrait entraîner la constitution, à courte échéance, d’une «Grande Albanie»,ce qui relancerait automatiquement les irrédentismes croate et serbe aux dépens de la Bosnie. Sans parler du précédent international explosif que cela constituerait pour de multiples entités tentées de proclamer,elles aussi,unilatéralement,leur indépendance.A savoir :la Palestine (Israël),le Sahara occidental (Maroc), la Transnistrie (Moldavie), le Kurdistan (Turquie), la Tchétchénie (Russie), l’Abkhazie (Georgie), le Haut-Karabakh (Azerbaïdjan),Taïwan (Chine), voire, en Europe même, le Pays basque et la Catalogne (Espagne,France),pour ne citer que ces cas.M.Bush est-il prêt à garantir ces indépendances comme il déclare vouloir le faire pour le Kosovo ?
Nous avons sous les yeux les hallucinants dégâts causés au Proche-Orient par les initiatives irresponsables de l’actuel président des Etats-Unis.Sa lourde incursion,maintenant,dans un théâtre aussi explosif que celui des Balkans,l’un des plus dangereux du monde,consterne et atterre.
I GNACIO R AMONET .
(1) International Herald Tribune, 11 juin 2007.
(2) Accusé de conduire une politique de répression massive contre les Albanais du Kosovo, environ 90% de la population et en majorité de confession musulmane.
L IRE LE SOMMAIRE PAGE 28
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D EUXSTRATÉGIESISLAMISTESQUI S ’ OPPOSENT
Al-Qaida contre les talibans
De la Somalie à l’Afghanistan, de l’Irak au Liban, en passant par la Palestine (lire page 10), se dessine un arc du chaos caractérisé par l’affaiblissement des Etats et le rôle croissant de groupes armés disposant d’un armement efficace (notamment roquettes et fusées) et échappant à tout contrôle centralisé. Pour les Etats-Unis, ces zones sont devenues le terrain principal de la « troisième guerre mondiale », de la «guerre contre le terrorisme». Cette vision nourrit la stratégie de l’organisation Al-Qaida, engagée dans une lutte à mort contre «les croisés et les juifs». Pourtant, sur le terrain, ces discours
simplistes ne recouvrent pas une réalité bien plus contradictoire. En Irak, on assiste à une mobilisation d’une partie de la résistance sunnite contre les dérives d’Al-Qaida qui s’est lancée dans un sanglant combat contre les chiites, n’hésitant pas à s’en prendre à leurs lieux de culte. En Afghanistan, de violents incidents ont opposé les talibans aux combattants étrangers d’Al-Qaida, les premiers privilégiant une stratégie nationale (et la recherche d’un modus vivendi avec le pouvoir pakistanais) et les seconds appelant au renversement des régimes musulmans en place, dénoncés comme «impies ».
P AR NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL S YED S ALEEM S HAHZAD *
DEUXINCIDENTSRÉCENTS illustrent les divergences croissantes au sein des mouvements islamistes armés. Au Waziristan sud, une zone tribale du Pakistan située à la frontière afghane, des talibans locaux ont perpétré en mars 2007 un massacre de combattants étrangers du Mouvement islamique d’Ouzbékistan, affilié à AlQaida; presque simultanément, des combats féroces opposaient l’Armée islamique en Irak à la branche locale d’AlQaida. Deux stratégies – deux manières de concevoir le combat islamiste – s’affrontent, de plus en plus violemment.
Depuis 2003, des volontaires étrangers affluent au Pakistan et en Irak. Pourtant, loin de réjouir les dirigeants des talibans et les groupes de résistance islamiques autochtones, cette arrivée de combattants radicaux acquis au takfirisme – une idéologie qui considère les «mauvais musulmans» comme les principaux ennemis (lire l’encadré page13) – a provoqué un malaise. En faisant la guerre à des gouvernements musulmans, ces militants ont déchaîné le chaos sur ces mêmes populations qu’ils prétendaient défendre.
Pourtant, trois années durant, entre 2003 et 2006, la complexité même de la situation dans ce vaste théâtre de guerre que sont les deux Waziristans, l’Afghanistan et l’Irak avait renforcé l’influence doctrinaire d’Al-Qaida et réduit au silence les groupes autochtones. Dans les deux Waziristans, des takfiristes avaient favorisé l’émergence d’«Etats islamiques», qui échappaient à la juridiction du Pakistan et alimentaient des actions armées dans les grands centres urbains, avec pour objectif ultime de déclencher un soulèvement contre le régime militaire pro-occidental d’Isla
*Journaliste, il dirige le bureau au Pakistan de l’Asia Times Online (Hongkong).
mabad. En réaction, l’armée pakistanaise avait conduit des opérations sanglantes, massacrant des centaines de non-combattants, y compris des femmes et des enfants, et alimentant ainsi la fureur des extrémistes. Déjà, à l’époque, de nombreux dirigeants talibans reconnaissaient en privé que les takfiristes se fourvoyaient en délaissant la stratégie exclusivement antioccidentale prônée par M. Oussama Ben Laden dans les années 1990, et qu’ils avaient tort de transformer leur guerre de résistance nationale contre l’occupation étrangère en un assaut contre le pouvoir militaire du Pakistan.
En Irak, Abou Moussab Al-Zarkaoui, l’un des principaux dirigeants takfiristes, qui avait quitté le Waziristan pour rejoindre ce pays à la veille de l’invasion américaine, était devenu le responsable le plus en vue de la résistance. Al-Zarkaoui avait fait publiquement allégeance à M. Ben Laden ; autour de lui s’étaient regroupés des militants, des étrangers pour la plupart, qui constituaient la branche irakienne d’Al-Qaida. Très vite,
la situation en Irak allait ressembler à celle des Waziristans et de l’Afghanistan.
Après la chute de Saddam Hussein, les forces de résistance locales mirent un certain temps à se mobiliser. Il leur fallut plusieurs mois pour organiser diverses tribus, des groupes religieux fragmentés, des membres du Baas –l’ancien parti de Saddam Hussein –et des officiers de la défunte garde républicaine en unités de combat efficaces. Entre-temps, les combattants étrangers accourus des quatre horizons du monde musulman sous l’étendard noir d’Al-Qaida avaient constitué un majlis al-choura(conseil) et faisaient preuve d’une efficacité que n’avaient pas encore les groupes autochtones. Dans ces conditions, ces derniers ne pouvaient guère exprimer leurs réserves sur l’idéologie takfiriste. Certains avaient déjà eu l’occasion de déplorer les débordements d’Al-Qaida, qui, bien que sunnite comme eux, délaissait la lutte contre l’occupant américain pour s’attaquer à des lieux saints chiites.
(Lire la suite page 12.)
Manière de voir n°93
TEMPÊTES SUR L’IRAN
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