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TAÏWAN, AU CŒUR DU CONFLIT SINO-AMÉRICAIN – pages 6 et 7
LE PETIT MONDE DES GRANDS CHEFS PAR RICK FANTASIA Pages 22 et 23.
5,40 € - Mensuel - 28 pages
SELFIES, COURRIELS, VIDÉOS EN LIGNE…
Quand le numérique détruit la planète
Longtemps l’idée d’une industrie numérique propre car « immatérielle » a dominé les esprits. Contre les géants du pétrole et de l’automobile, la Silicon Valley semblait l’alliée naturelle des politiques de lutte contre le réchauffement climatique. Cette illusion se dissipe. Une enquête conduite sur plusieurs continents révèle le coût environnemental exorbitant du secteur des hautes technologies.
PAR GUILLAUME PITRON *
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DÉVELOPPEURS de la Silicon Valley et constructeurs de semi-remorques, la Commission européenne et le cabinet McKinsey, MM. Joseph Biden et Xi Jinping, les libéraux britanniques et les Verts allemands : face à l’urgence climatique, une sainte alliance mondiale s’est nouée autour d’une conviction. Celle d’un grand basculement du monde en ligne pour le bien de la planète. « À tel point que l’on considère de plus en plus qu’il ne sera pas possible de maîtriser le changement climatique sans un recours massif au numérique », souligne l’association The Shift Project, qui ne partage pas ce point de vue (1). Un nouvel évangile promeut le salut par les villes « intelligentes » bourrées de capteurs et de véhicules électriques autonomes. Cette croyance peut compter sur d’efficaces apôtres. Comme le Global eSustainability Initiative (GeSI), un lobby patronal établi à Bruxelles, pour qui « les émissions évitées via l’utilisation des technologies de l’information et de la communication sont près de dix fois plus importantes que celles générées par le déploiement
* Journaliste, auteur de L’Enfer numérique. Voyage au bout d’un like, Les Liens qui libèrent, Paris, 2021, dont cet article présente le propos.
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de ces technologies (2) ». Mais des chercheurs indépendants contes tent la sincérité de ces chiffres repris partout, et l’impartialité de leurs auteurs.
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Au-delà des efforts du «marketing vert » déployé par les industriels et leurs porte-voix, quel est l’impact environnemental de l’outil numérique ? Ces nouveaux réseaux de communication sont-ils compatibles avec la « transition écologique » ? Au terme d’une enquête qui nous a conduit dans une dizaine de pays, voici la réalité : la pollution digitale est colossale, et c’est même celle qui croît le plus rapidement.
OTOBONG NKANGA. – « The Squeeze » (La pression), 2011
« Lorsque j’ai découvert les chiffres de cette pollution, je me suis dit : “Comment est-ce possible ?” », se rappelle Françoise Berthoud, ingénieure de recherche en informatique. Les dommages causés à l’environnement découlent d’abord des milliards d’interfaces (tablettes, ordinateurs, smartphones) qui nous ouvrent la porte d’Inter-
net. Ils proviennent également des données que nous produisons à chaque instant : transportées, stockées, traitées dans de vastes infrastructures consommatrices de ressources et d’énergie, ces informations permettront de créer de nouveaux contenus digitaux pour lesquels il faudra… toujours plus d’interfaces !
(Lire la suite page 18 et 19.)
(1) « Lean ICT : pour une sobriété numérique », rapport du groupe de travail dirigé par Hugues Ferreboeuf pour l’association The Shift Project, Paris, octobre 2018.
(2) « #SMARTer2030 opportunity : ICT solutions for 21st century challenges », GeSI et Accenture Strategy, Bruxelles, 2015.
Un empire qui ne désarme pas
LES États-Unis ne restent jamais humbles longtemps. Un mois après leur déroute afghane, l’ordre impérial est rétabli. La gifle que Washington vient d’infliger à Paris en témoigne.
Un mois ? Même pas. À peine les talibans venaient-ils de s’emparer de l’aéroport de Kaboul que les néoconservateurs ressortaient de leurs tanières. L’Occident avait « perdu l’Afghanistan » ? Il fallait donc qu’il réaffirme sa présence partout ailleurs pour faire comprendre à ses rivaux stratégiques, la Chine et la Russie en particulier, qu’il ne reculerait pas devant le prochain combat. « La guerre n’est pas finie, résuma le sénateur Mitt Romney, ancien candidat républicain à l’élection présidentielle. Nous sommes plus en danger qu’avant. Et nous allons devoir investir davantage pour garantir notre sécurité (1).» Après avoir répandu le chaos au Proche-Orient, les États-Unis tournent donc leur regard vers le Pacifique et dirigent leur marine contre la Chine. Ce sera, on le devine, une toute petite affaire…
C’est là en tout cas l’enjeu principal de la minicrise diplomatique entre la France et les États-Unis, pas le dépit de Paris d’avoir été dépouillé d’un juteux contrat d’armement naval. Dans cette affaire, il importe en effet de savoir comment l’Europe doit réagir à l’alliance militaire antichinoise que Washington vient d’annoncer avec le Royaume-Uni et l’Australie. Car pour le reste – l’humiliation publique spectaculaire, la déloyauté des « alliés », l’absence de concertation sur une décision géopolitique majeure –, l’Élysée s’est habitué aux affronts américains depuis une quinzaine d’années, qu’il s’agisse de l’espionnage des présidents de la République révélé par WikiLeaks, du dépeçage d’Alstom par General Electric (grâce à des manigances judiciaires proches du brigandage de grand
PAR SERGE HALIMI
chemin), sans parler des amendes pharaoniques extorquées à des entreprises et à des banques françaises qui n’avaient pas appliqué des sanctions, contraires au droit international, décrétées par les États-Unis contre Cuba ou l’Iran (2). Pour riposter au camouflet australo-américain autrement que par un rappel dérisoire des ambassadeurs en poste à Canberra et à Washington, M. Emmanuel Macron aurait été bien inspiré d’accorder sur-le-champ l’asile politique à MM. Julian Assange et Edward Snowden, qui ont dévoilé les bas-fonds de l’empire. Le monde entier eût remarqué ce sursaut de dignité.
Pendant que ses présidents bavardent, la France se déclasse. Elle a rejoint le commandement intégré de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) dirigée par Washington ; elle abandonne une part croissante de sa souveraineté diplomatique à une Union européenne peuplée de vassaux des États-Unis ; elle maintient contre la Russie une batterie de sanctions qui interdisent toute entente « de l’Atlantique à l’Oural », seule perspective susceptible de dégager le Vieux Continent de l’emprise américaine ou chinoise. Pour ne pas sombrer dans l’insignifiance, la France devrait d’urgence faire comprendre à Washington, mais aussi à Pékin, Moscou, Tokyo, Hanoï, Séoul, New Delhi, Djakarta, qu’elle ne se résignera jamais à la guerre du Pacifique que préparent les États-Unis (3).
(1) Cable News Network, 29 août 2021. (2) Lire Jean-Michel Quatrepoint, «Au nom de la loi… américaine », Le Monde diplomatique, janvier 2017.
(3) Lire Martine Bulard, « L’Alliance atlantique bat la campagne en Asie », Le Monde diplomatique, juin 2021.
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Afrique CFA : 2 400 F CFA, Algérie : 290 DA, Allemagne : 6,00 €, Andorre : 6,00 €, Antilles-Guyane : 5,50 €, Autriche : 6,00 €, Belgique : 5,90 €, Canada : 8,00 $C, Espagne : 6,00 €, États-Unis : 8,95 $US, Royaume-Uni : 5,50 £, Grèce : 6,00 €, Hongrie : 1 995 HUF, Irlande : 6,00 €, Italie : 6,00 €, Liban : 9 500 LBP, Luxembourg : 5,90 €, Maroc : 35 DH, Pays-Bas : 6,00 €, Portugal cont. : 6,00 €, Réunion : 5,50 €, Suisse : 8,80 CHF, TOM : 780 XPF, Tunisie : 5,90 DT.
N° 811 - 68e année. Octobre 2021
ANCRAGE LOCAL OU STRATÉGIE GLOBALE
Les deux visages du djihad
Des groupes terroristes comme Al-Qaida et l’Organisation de l’État islamique (OEI) ont salué l’action des milices armées au Sahel et la victoire des talibans en Afghanistan. Mais, loin de s’expliquer par une guerre sainte planétaire, ces conflits obéissent à une logique propre, territorialisée. Un recours exclusif à la force n’en viendra donc pas à bout.
PAR OLIVIER ROY *
TOUT événement lié au monde musulman se mesure désormais à l’aune de la notion de « terrorisme ». Après la chute de Kaboul en août 2021, les médias et nombre d’observateurs occidentaux n’ont eu de cesse de se demander si le retour des talibans au pouvoir allait entraîner un regain d’attentats islamistes dans le monde. Mais ils ne s’interrogent guère sur deux autres points : pourquoi les talibans ont-ils pu s’emparer de la capitale afghane sans pratiquement tirer un coup de feu ? Ontils jamais été directement impliqués dans un acte violent en dehors de l’Afghanistan ? Certes ils ont donné asile à Oussama Ben Laden entre 1996 et 2001, et ils en ont payé le prix en étant chassés du pouvoir au terme d’une guerre de quelques semaines. Mais ils n’ont jamais été accusés par les Américains d’avoir eu vent de la préparation des attentats du 11 septembre 2001 à New York et à Washington.
Cette focalisation sur la violence armée empêche de comprendre les phénomènes de radicalisation et de passage à l’acte. Elle suppose en effet une continuité entre radicalisation religieuse, proclamation du djihad et terrorisme international, comme si l’on passait for-
cément du premier stade au troisième et comme si, inversement, le terrorisme international créait du djihadisme local. Ce raisonnement amène à lire toute référence à la charia et tout appel à la guerre sainte comme le prodrome d’attaques à l’échelle mondiale.
Dans cette approche, la politique occidentale vis-à-vis des mouvements islamistes se détermine par le seul critère de leur proximité supposée avec le terrorisme. Or cette proximité est définie par une « grille d’intensité » des référents religieux autant – sinon plus – que par la pratique réelle du recours à la violence : en gros, plus ils parlent de charia, plus ils contestent la politique des grandes puissances, plus les groupes islamistes constituent une menace terroriste. D’où le principe de la guerre préventive : on les attaque avant qu’ils ne passent à l’action.
Or une analyse plus poussée des mouvements djihadistes montre que cette prétendue continuité non seulement ne fait pas sens, mais amène à l’enlisement dans des guerres territoriales, qui au mieux ne servent à rien, qui au pire accentuent l’internationalisation de conflits locaux et donc leur articulation avec le djihadisme global.
* Politiste, professeur à l’Institut universitaire européen de Florence. Auteur notamment du Djihad et la Mort, Seuil, coll. « Essais », Paris, 2016.
(Lire la suite page 11.)
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